Un an après, Amatrice est toujours en ruine
Dans le village le plus touché par le séisme du 24 août 2016, la reconstruction n’a toujours pas commencé. Les habitants sont exaspérés
Un nuage de poussière enveloppe la rue principale du centre d’Amatrice. Un camion et une pelleteuse sont garés le long de l’artère, protégée par de fines parois en métal. De part et d’autre, une mer de ruines. Une maison est affaissée et penche vers l’arrière, sombrant sous des vagues de roches et de déchets. La lumière du coucher de soleil allonge les ombres. La scène est surréaliste, arrêtée dans le temps.
L’horloge du clocher survivant indique toujours 3h36. Dans la nuit du 23 au 24 août 2016, ce village de 2500 habitants, enfoui dans les montagnes du Latium, est rasé par un séisme de magnitude 6. Bilan: 299 morts. Un an plus tard, l’armée garde encore l’entrée de la rue, toujours interdite. Derrière un véhicule militaire, une immense structure métallique empêche les restes d’une église de s’écrouler. L’édifice avait résisté au tremblement, mais pas à la séquence sismique de plusieurs mois qui a suivi. Plus de 74000 secousses ont été enregistrées depuis le séisme.
Des besoins basiques
Le centre d’Amatrice s’est déplacé plus au sud, à flanc de montagne. Le bar Il Rinascimento, «La Renaissance», a ouvert au croisement de deux routes sortant du village. De vieux habitants y côtoient curieux du drame passé, ouvriers et forces de l’ordre. Il est l’un des rares lieux de socialisation. Il faut marcher entre dix et vingt minutes pour tomber sur une église de fortune, puis un supermarché, suivi du nouveau quartier composé de plusieurs dizaines de maisonnettes préfabriquées construites par l’Etat. Et, enfin, la «food area», où trois restaurants ont été inaugurés fin juillet. Des structures encore vides en accueilleront d’autres.
Alessio Bucci et sa famille ont ainsi pu rouvrir l’historique Roma, réputé dans toute l’Italie pour ses célèbres pâtes à l’amatriciana, recette typique du village composée de joues de porc et de pecorino. Assis au soleil sur la terrasse encore en construction, il se réjouit de voir son restaurant afficher complet midi et soir. Sa capacité est de 300 couverts, deux fois moins que la structure originale. Le restaurateur apprécie la «food area», imaginée par le maire pour donner un sens d’unité à une communauté brisée, et financée par la donation d’une télévision privée. Plusieurs édifices sobres aux larges baies vitrées entourent une place commune. «C’est beau, lance Alessio Bucci. Mais on dirait la place d’un autre village, ce n’est plus Amatrice.»
Une lenteur infinie
Maintenant qu’il a repris le travail, ses besoins de commerçant sont basiques. «Il faudrait déblayer complètement la route principale et la rouvrir, souhaite-t-il. Il faut pas mal de temps pour arriver ici.» La zone rouge lui impose en effet un détour de plusieurs dizaines de kilomètres quand il arrive par le nord, synonyme de temps considérablement plus long vu les routes tortueuses de montagne.
D’après l’association de protection de l’environnement Legambiente, au moins 2,3 millions de tonnes de gravats devaient être déblayées. Moins de 8% de cette quantité a disparu de la région sinistrée, a calculé la presse italienne. Cette lenteur exaspère les habitants. Comme la livraison des maisonnettes préfabriquées promises par l’Etat. Plus de 3600 habitations de fortune ont été commandées par 51 communes victimes des séismes. Moins d’un dixième a été livré, écrit fin juin La Repubblica. Ceux qui ne vivent pas dans ces petites structures arrangées dans un quartier convivial et fleuri dorment dans des roulettes ou des containers, parfois installés dans les jardins de maisons en ruine.
«Il faudrait déblayer complètement la route principale. Arriver ici prend beaucoup de temps»
ALESSIO BUCCI, RESTAURATEUR
La bureaucratie est pointée du doigt. Des fonctionnaires anonymes cités par le journal se cachent derrière l’ampleur de la tâche: «208000 habitations devaient être vérifiées [après les séismes], nous n’avons pas encore fini. Il y en avait 75000 à L’Aquila» après le tremblement de terre de 2009. Ces données viennent rappeler que les autorités sont encore dans la première phase, la gestion de l’urgence, pas encore celle de la reconstruction.
Privée de sa force
«Que pensaient-ils? Que les décombres allaient fondre après l’hiver?» s’énerve Roberto Serafini. L’homme s’apprête à rouvrir sa parfumerie dans l’un des deux espaces dédiés aux commerçants, en face du quartier d’habitation. Mais la structure n’est pas terminée. «Elle devait ouvrir le 21 août, j’avais acheté la marchandise en conséquence», regrette-t-il.
Le lieu est pourtant indispensable, ajoute le négociant. Dans un village, les commerces sont les seuls lieux de rencontre. «Sans eux, Amatrice est privée de sa force et de son identité», affirme ce père de deux filles parties étudier hors de la région. Mais ce sont les temps d’attente interminable qui l’exaspèrent le plus. Il a par exemple rempli de nouveau cette semaine une demande pour une maisonnette, «mais il y aura un tirage au sort, car il n’y en a toujours pas assez».
En regardant son magasin plongé dans la pénombre, les produits posés sur les étagères salies par les travaux toujours en cours, Roberto Serafini sourit. «Ne pas travailler pendant un an, c’est ce qui m’a le plus tué, confie-t-il. Le séisme a emporté ma vie d’avant, mon travail et ma dignité. Je la récupérerai lorsque je rouvrirai ma boutique.»
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