Faut-il filtrer l’eau du robinet?
Alors qu’une entreprise zurichoise lance un nouveau système de filtration individuel pour l’eau courante, se pose la question de l’utilité de ces appareils
Filtrer une eau… déjà filtrée? L’idée a de quoi surprendre. Du moins en Suisse, où le précieux liquide, très contrôlé, affiche une des meilleures qualités du monde. Mais boire de l’eau du robinet non filtrée? De nombreux Suisses, méfiants, s’y refusent. Et achètent tout un attirail censé débarrasser leurs pichets des éléments indésirables.
L’un des prochains produits attendus sur le marché vient des locaux de Novamem, entreprise zurichoise spécialisée dans les processus de filtration et de séparation chimiques. Une campagne de financement participatif sur Kickstarter est dans les tuyaux, et doit permettre la commercialisation du DrinkPure Home, petit engin en forme de toupie à fixer à la sortie du robinet.
Trois couches superposées
L’appareil permet selon les dires de la société de filtrer plus de 99% des bactéries et des virus, ainsi que certaines particules, dont bien sûr le chlore. Décortiqué, le filtre est constitué de trois couches superposées de matériaux, chacun ayant une fonction spécifique.
Au milieu de ce sandwich se trouve une couche de charbon, matière couramment utilisée pour filtrer microbes et particules indésirables (résidus de pesticides, métaux lourds…). «La couche de charbon agit comme une éponge à bactéries», dit David Alcala, chargé du marketing et de la communication chez Novamem.
Rien de particulier jusqu’ici: la plupart des carafes filtrantes et des filtres à robinet possèdent un tel filtre. Les nouveautés se situent dans les deux autres couches. Celle du haut, constituée de silice, est dite auto-désinfectante. Elle absorbe et détruit les micro-organismes piégés dans le charbon.
En dessous, une membrane poreuse assure une deuxième filtration. Elle fait la fierté de l’entreprise, qui a déposé un brevet pour en protéger la paternité. «La membrane bloque la plupart des micro-organismes sans diminuer le débit d’eau», assure le responsable. Comment la membrane, avec des pores de 0,45 micromètre, peut-elle bloquer les virus qui sont de quatre à quarante fois plus petits? «La plupart des virus vivent attachés à la paroi des bactéries», explique Michael Loepfe, cofondateur de l’entreprise. En bloquant les bactéries, on filtre d’une pierre deux coups. Pour savoir si le Drinkhome Pure est réellement efficace, il faudra toutefois attendre sa commercialisation, prévue en 2018.
Un tel filtre au bout de son robinet, est-ce bien utile? Responsable de l’inspection des eaux au Service de la consommation et des affaires vétérinaires du canton de Vaud, Eric Raetz a un avis tranché sur la plupart de ces dispositifs: «Il est à notre avis inutile de filtrer les eaux du robinet en Suisse», lâche-t-il. L’eau s’écoulant des robinets de Suisse romande provient soit des lacs, soit des nappes phréatiques, soit des deux en proportions variables selon les localités, poursuit le spécialiste. Celle provenant des souterrains n’est pas traitée, à l’inverse de l’eau des lacs, qui nécessite un nettoyage. Comme dans une carafe Brita ou dans le futur DrinkPure Home, plusieurs étapes permettent de débarrasser l’eau de ses bactéries et produits indésirables.
Continent américain visé
«L’eau stockée dans les réservoirs, prête à être distribuée, est nettoyée de toutes les bactéries», indique Eric Raetz. Et le spécialiste d’ajouter que les filtres domestiques peuvent même avoir l’effet inverse à celui escompté. «Ajouter une étape de filtration bactériologique va plutôt avoir tendance à augmenter le nombre de microbes qui prolifèrent dans le charbon», explique-t-il. En cause, la manipulation du filtre ou sa saturation en bactéries peuvent aboutir à une contamination plus importante au fond du pichet. C’est d’ailleurs pourquoi les filtres individuels des carafes ou des robinets doivent être fréquemment remplacés.
Mais le DrinkPure Home n’est de toute façon pas vraiment conçu pour les eaux suisses, très contrôlées, reconnaît David Alcala. «Nous visons en priorité le continent américain», confie le porte-parole. Les récents scandales de l’eau contaminée aux Etats-Unis, où 2000 réseaux ont été contaminés au plomb, devraient légitimer l’utilisation de ce genre d’instrument. Les pays du sud moins développés, où l’eau du robinet n’est pas potable, pourraient également en tirer profit, espère Novamem.
Reste que sous nos latitudes, les filtres gardent tout de même un intérêt dans certains cas précis, tel que l’adoucissement de l’eau. Concrètement, ils retiennent une partie du calcaire (calcium, magnésium), ce qui protège les canalisations et les appareils ménagers. Mais cela n’a aucun impact sur la santé, au contraire: retirer ces minéraux bénéfiques revient à en priver son organisme. Autre cas de figure, certains utilisateurs filtrent leur eau pour en faire disparaître la saveur chlorée. Mais on peut obtenir le même résultat en laissant reposer son verre ou sa carafe durant quelques minutes avant consommation.
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