Les grands argentiers scrutent l’économie
Les principaux banquiers centraux se réunissent du 24 au 26 août à Jackson Hole, aux Etats-Unis. Les marchés espèrent qu’ils délivreront une indication sur leur stratégie future
Ecrin verdoyant niché au coeur des montagnes du Wyoming, Jackson Hole, aux Etats-Unis, n’est pas seulement le paradis des amateurs de pêche et des randonneurs. C’est aussi là que les principaux banquiers centraux de la planète se réuniront du jeudi 24 au samedi 26 août, comme tous les ans, pour deviser sur la reprise. Thème de l’année: «Favoriser une économie mondiale dynamique».
A l’origine consacré à des débats techniques peu accessibles au grand public, ce symposium est scruté de près par les marchés depuis 2010. Ben Bernanke, à l’époque président de la Réserve fédérale (Fed), avait alors profité de son discours pour faire comprendre que son institution allait lancer un second programme de rachat de titres financiers (quantitative easing en anglais, ou QE), afin de soutenir la croissance. En 2014, Mario Draghi, le président de la Banque centrale européenne (BCE), avait laissé entendre qu’il allait, lui aussi, expérimenter le QE.
Que réservera l’édition 2017? «Jackson Hole est le lieu idéal pour adresser un message fort de politique monétaire, car l’ensemble du monde économique et financier écoute», dit David Wessel, membre du think tank Brookings Institution. Avant de nuancer: «Mais je ne suis pas sûr que, cette année, ce soit nécessaire.» Cela n’empêchera pas les analystes de décortiquer, avec un soin de kremlinologue, chaque mot des discours que tiendront, vendredi 25 août, Mario Draghi et Janet Yellen, la présidente de la Fed. Dans les deux cas, ils guetteront des indices sur la stratégie à venir des institutions. En particulier sur le rythme avec lequel elles réduiront la voilure des mesures exceptionnelles de soutien à l’économie déployées pendant la crise.
La Fed avait ouvert le bal en 2008, en baissant ses taux directeurs, puis en lançant le QE, bientôt suivie par la Banque d’Angleterre, la Banque du Japon ou encore la BCE. L’institut de Francfort a mis en place d’autres outils, à l’exemple du taux de dépôt négatif – l’équivalent d’une taxe sur les dépôts que les banques laissent à court terme dans ses coffres. Chaque fois, l’objectif était le même: relancer les prix, le crédit et l’activité.
«La situation s’est compliquée»
En décembre 2015, jugeant la reprise suffisamment solide, la Fed a prudemment relevé ses taux directeurs une première fois. Trois autres hausses ont suivi en 2016 et 2017. «Tout semblait alors sur des rails, analyse Gilles Moec, économiste chez Bank of America Merrill Lynch. Mais, depuis, la situation s’est un peu compliquée.»
Taux de chômage au plus bas (4,3%), croissance stable, entreprises en forme… A première vue, l’économie américaine, sortie de récession voilà sept ans, va pour le mieux. «Et suffisamment bien pour convaincre la Fed d’envisager de réduire le colossal volume de titres achetés pendant la crise, conservés depuis dans son bilan, qui culmine à 4500 milliards de dollars (4350 milliards de francs)», rappelle Mohamed el-Erian, conseiller économique en chef du groupe Allianz. Cette réduction, inédite, devrait commencer ces prochains mois. Janet Yellen donnera-t-elle des indices sur son calendrier à Jackson Hole? Ou attendra-t-elle la prochaine réunion de ses membres, les 19 et 20 septembre?
«C’est plus probable, car ces dernières semaines les incertitudes politiques se sont accumulées aux Etats-Unis», juge Jacob Kirkegaard, membre de l’Institut Peterson pour l’économie internationale, un cercle de réflexion de Washington. Il semble désormais probable que la réforme fiscale et le plan de relance promis par le président Donald Trump seront moins ambitieux que prévu. Ce qui aura une incidence sur l’économie américaine – et, donc, sur la Fed. «Dans les couloirs de Jackson Hole, on parlera beaucoup des imprévisibles frasques de Donald Trump et du risque de crise constitutionnelle si les choses dégénèrent», ajoute Jacob Kirkegaard.
De son côté, Mario Draghi bénéficie de vents favorables. L’économie de la zone euro va enfin mieux: le chômage baisse, l’investissement repart, les exportations rebondissent… Cette année, la croissance devrait atteindre 1,9%, selon le Fonds monétaire international. Fort de ce tableau, l’institut de Francfort a déjà fait savoir qu’il réduirait le volume de ses achats de dettes publiques, aujourd’hui de 60 milliards d’euros (68 milliards de francs) par mois, courant 2018. Mais il se préoccupe également de la remontée de l’euro face au dollar observée depuis le début de l’année, et susceptible de contrarier ses plans. En touchera-t-il un mot à Jackson Hole, pour tenter d’influencer le cours de la devise? Pas sûr. Car son discours de fin juin, à Sintra au Portugal, avait été mal interprété par les marchés.
Une énigme de taille
Au reste, il n’y a pas d’urgence. Car l’Italien est, comme Janet Yellen et leur homologue japonais, Haruhiko Kuroda, confronté à une énigme de taille: la faiblesse persistante de l’inflation. En dépit de la reprise, celle-ci reste bien inférieure à la cible de 2% fixée par les instituts monétaires, aux Etats-Unis (1,4% en juin) comme en zone euro (1,3% en juillet). «La relation entre le chômage, les salaires et les prix ne fonctionne plus comme autrefois», dit Gilles Moec.
Les économistes eux-mêmes sont un peu perdus. La faiblesse des salaires et de l’inflation aujourd’hui observée est-elle durable et structurelle? Si oui, les banques centrales n’ont pas intérêt à traîner avant de normaliser leur politique. Si elle est temporaire, elles gagneraient plutôt à se montrer prudentes, pour ne pas briser la reprise. C’est aujourd’hui le scénario privilégié par la Fed et la BCE. «Mais l’inflation, comme les taux, pourrait redémarrer plus vite et fort que ne l’estime le consensus des analystes, prévient Charles Wyplosz, économiste à l’Institut de hautes études internationales de Genève. C’est dire si l’exercice est délicat. Dans tous les cas, la normalisation des politiques monétaires sera le grand feuilleton de 2018, et elle s’accompagnera forcément de turbulences.»
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«On parlera beaucoup des imprévisibles frasques de Donald Trump et du risque de crise constitutionnelle» JACOB KIRKEGAARD,
MEMBRE DE L’INSTITUT PETERSON POUR L’ÉCONOMIE INTERNATIONALE