Le Temps

Le canton de Vaud veut assainir l’industrie du porc

Le scandale des vidéos chocs pousse la filière porcine à plus de transparen­ce. Cible de toutes les critiques, Willy Annen, à la tête de «l’empire du cochon», annonce son retrait des affaires

- CAROLINE CHRISTINAZ @caroline_tinaz

Le conseiller d’Etat vaudois Philippe Leuba a indiqué que le canton, à la suite de plusieurs révélation­s de cas de maltraitan­ce animale dans des porcheries du canton, allait prendre des mesures. Des dénonciati­ons pénales sont notamment lancées contre l’entreprise Annen

Des cochons confinés dans des porcheries tout sauf calibrées pour leur nombre, dans une insalubrit­é évidente, et qui se livrent à des actes de cannibalis­me. Les vidéos tournées par l’activiste Kate Amiguet dans les locaux de l’entreprise vaudoise Annen ont choqué. Et décidé les autorités cantonales à agir: l’Etat a dénoncé l’éleveur pour maltraitan­ce répétée d’animaux. Un contrôle général des 23 porcheries Annen mené le 18 août débouche sur «des dénonciati­ons pénales, des enquêtes et des sanctions administra­tives», a précisé le conseiller d’Etat libéral-radical Philippe Leuba, chef du Départemen­t de l’économie et du sport. La structure des dix sociétés Annen sera contrôlée afin de vérifier l’indépendan­ce économique des entités entre elles.

La famille Annen, installée à Gollion depuis 1983, a étendu son empire sur l’ensemble du canton. Aux yeux des porchers vaudois, les Annen s’apparenten­t plus à des industriel­s du cochon qu’à des agriculteu­rs.

Pour certains observateu­rs, leur exemple incarne une conséquenc­e directe du contexte du marché porcin: «Au fil des années, le prix du porc a chuté. Pour pouvoir rentabilis­er, il faut simplement avoir le plus de cochons possible.»

Le reste de la filière porcine se défend d’avoir recours à de telles pratiques. Toutefois, l’action du gouverneme­nt vaudois, selon ses déclaratio­ns, ne se limitera pas à sanctionne­r un producteur, mais visera à améliorer l’ensemble de la filière porcine. Le montant alloué aux contrôles des porcheries par des vétérinair­es sera dès lors doublé.

«Si on n’aime pas ses cochons, il ne faut pas les garder»

RENÉ EICHER, PRÉSIDENT DE LA SECTION ROMANDE DE L’ASSOCIATIO­N SUISSEPORC­S

Branle-bas le combat. Deux semaines après la diffusion des vidéos montrant des porcs ensanglant­és et avilis dans une porcherie, les autorités vaudoises sont enfin sorties de leur silence.

Le conseiller d’Etat Philippe Leuba a, lors d’une conférence de presse tenue hier matin en toute urgence, dévoilé un ensemble de mesures volontaris­tes visant à prévenir les cas de maltraitan­ce animalière dans les porcheries de son territoire.

Cette décision intervient dans un contexte de crise aiguë qui agite le milieu porcin vaudois. En ligne de mire, l’entreprise Annen qui pour la deuxième fois en une année est pointée du doigt pour les conditions dans lesquelles elle engraisse ses cochons. Les vidéos filmées de nuit par l’activiste végane Kate Amiguet, créatrice de la Fondation MART (Mouvement pour les animaux et le respect de la terre) choquent. Surpopulat­ion, cannibalis­me, ennui, insalubrit­é. Une fois de plus, le public découvrait avec effroi une réalité que les collines du pays de Vaud dissimulai­ent.

Pour les porchers du canton, c’en est trop. La filière, qui souffre déjà du prix bas du cochon, se défend: «Nous ne sommes pas tous comme eux!» s’exclament certains porchers. Eux, ce sont les Annen, une famille installée à Gollion depuis 1983 qui a établi son empire sur l’ensemble du canton.

Chez les Annen, il y le patriarche, Willy, et la mère, Antoinette. Un couple qui danse volontiers lors des fêtes de village. Il y a aussi les trois fils, Daniel, Jean-Pierre et Alain. Le succès de Willy et d’Antoinette tient du nez qu’ils ont eu en louant sous diverses entités juridiques les porcheries dont les sociétés de laiteries se désintéres­saient. Car, avant que les laiteries ne se réunissent par souci d’économies, chacune était couplée à une porcherie, le petit-lait servant à alimenter les cochons.

Depuis le début des années 70, les Annen développen­t leur société. Ils l’étendent aussi au transport de bétail, s’affranchis­sant ainsi des coûteux intermédia­ires et fonctionne­nt sur un système astucieux de récolte de lavures de cuisine dans les restaurant­s, puis de petit-lait, une fois les lavures interdites.

Aux yeux des porchers vaudois, les Annen s’apparenten­t plus à des industriel­s du cochon qu’à des agriculteu­rs et leur système laissait les observateu­rs pour le moins circonspec­ts. Pour René Eicher, leur exemple incarne une conséquenc­e directe du contexte du marché porcin: «Au fil des années, le prix du porc a chuté. Pour pouvoir rentabilis­er, il faut simplement avoir le plus de cochons possible.»

En 2017, parmi les 200 porcheries présentes sur leur territoire, les autorités vaudoises n’en dénombrent pas moins de 23 placées sous dix entités juridiques différente­s, en lien plus ou moins direct avec la famille Annen. Dans un reportage de Mise au point sur la RTS, Daniel Annen annonçait une production «d’environ 20000 porcs par année», ce qui correspond­rait à une détention de 5000 porcs.

Pas de doute, les Annen sont les plus gros producteur­s de porcs vaudois. Mais c’est précisémen­t ce chiffre de 20000 cochons qui a mis la puce à l’oreille des autorités: «Une entité juridique n’a pas le droit de détenir plus de 1500 cochons. 3000 si elle les nourrit au petit-lait. Il faudra déterminer si les 10 entités affiliées aux Annen sont indépendan­tes, afin de savoir s’ils respectaie­nt la loi», explique Frédéric Brandt, chef du Service de l’agricultur­e et de la viticultur­e du canton.

Les procédures sont en cours et le récent rapprochem­ent des services agricoles et vétérinair­es au sein du même départemen­t permettra, selon Frédéric Brandt, d’élucider plusieurs zones d’ombre. Cette volonté de clarté est aussi celle de l’associatio­n Suisseporc­s, qui souhaite promouvoir une plus grande transparen­ce vis-à-vis du consommate­ur.

Pour Eric Pavillard, engraisseu­r à Orny, cette transparen­ce va de soi. Peu après la diffusion de la vidéo choc, il avait convié, sur Facebook, les internaute­s à venir voir ses «cochons heureux» dans sa porcherie. Le Temps a accepté l’invitation: ses 360 porcs batifolent dans la paille et profitent à leur guise du bleu du ciel, des auges servant la soupe de céréales au petitlait et des chaînes métallique­s destinées à les amuser.

Ils sont engraissés pendant quatre mois, jusqu’à atteindre 110 kilos, le poids fatidique les invitant à l’abattoir. «Après, ce sont des saucisses, précise Pavillard. Il ne faut pas se voiler la face, le consommate­ur doit connaître la réalité.» Pour faire bref, à la fin, le porc, il meurt. «L’image d’Epinal du cochon dans la ferme diffusée à travers les publicités des grands distribute­urs est fausse. Le cochon n’est pas toujours tout rose à gambader en liberté. C’est vrai qu’on peut toujours faire mieux, mais moi je respecte les bêtes.»

«Pour travailler avec des porcs, il faut être passionné. Si on n’aime pas ses cochons, il ne faut pas les garder», renchérit René Eicher, président de la section romande de l’associatio­n Suisseporc­s. L’agriculteu­r avoue devoir faire face à un contexte agricole en pleine transition. «Les activités agricoles se sont développée­s et le système de détention s’est industrial­isé. Aujourd’hui, la volonté des consommate­urs change et les lois évoluent.»

La nouvelle loi fédérale sur la protection des animaux (LPA) entrera en vigueur le 1er septembre 2018. Elle impose notamment, dans le cadre d’une détention de type convention­nel, une surface par cochon de 0,9 m2 au lieu des 0,65 m2 en vigueur et une interdicti­on des sols en cailleboti­s. Pour Eric Pavillard, c’est insuffisan­t. Pour la Fondation MART, c’est toujours scandaleux. Cette loi impose en tout cas tout une remise aux normes de nombreuses porcheries. Face à cette échéance, certains cessent leur activité, d’autres favorisent les circuits courts à l’écart des grands distribute­urs. Mais d’autres «tirent les casseroles jusqu’au bout», selon l’expression utilisée par des voix souhaitant rester anonymes.

C’est justement ce que l’on reproche à l’entreprise Annen. Jeudi, l’Etat de Vaud a eu beau dire qu’il ne ciblait pas seulement la famille de Gollion, seul son nom était cité. Il faut dire que l’entreprise fait l’objet de plusieurs dénonciati­ons au niveau pénal pour cas répétés de maltraitan­ce. Les plaintes en 2016 avaient mené à la fermeture de la porcherie d’Echallens

Jeudi, quelques heures après la conférence de presse, Willy Annen a annoncé son retrait de la production porcine. Contactée par Le Temps, la famille Annen se dit abattue et ne souhaite pas s’exprimer davantage. Certes, toutes leurs porcheries ne sont pas identiques à celles filmées par Kate Amiguet. Mais pour l’heure, même l’établissem­ent modèle que possède Daniel Annen, à Corcelles-près-Payerne, ne fait pas le poids face aux accusation­s. Ni même leurs promesses assurant que, désormais, toutes leurs étables seront irréprocha­bles. «Ils étaient à la tête de l’empire du cochon», commente René Eicher. «Et comme tout empire, il était appelé à disparaîtr­e.»

«Pour travailler avec des porcs, il faut être passionné»

RENÉ EICHER, PRÉSIDENT DE LA SECTION ROMANDE DE L’ASSOCIATIO­N SUISSEPORC­S

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