Le Temps

Islam et intégratio­n: un rapport contre les idées reçues

- FLORIAN DELAFOI @FlorianDel

Commandée par la fondation Bertelsman­n et réalisée dans plusieurs pays européens, dont la Suisse, une étude a estimé le niveau d’intégratio­n des musulmans en se basant sur plusieurs critères tels que le niveau d’éducation ou l’emploi. Les conclusion­s sont loin d’être sombres. Un exemple: 98% des musulmans de Suisse interrogés se disent attachés à leur pays d’accueil.

La fondation allemande Bertelsman­n constate de «vrais progrès» dans l’intégratio­n des immigrés musulmans dans plusieurs pays européens, dont la Suisse. Mais leur situation reste fragile face aux attitudes xénophobes

L’Europe se crispe face à l’islam. Après les attentats de Catalogne, des musulmans ont défilé dans les rues de Barcelone pour exprimer leur crainte d’une montée des amalgames entre leur religion et le terrorisme. Dans une étude publiée ce jeudi, la fondation allemande Bertelsman­n brise un certain nombre d’idées reçues. Elle constate de «vrais progrès» dans l’intégratio­n des immigrés musulmans en Europe. Menée auprès de plus de 10000 personnes, cette enquête concerne l’Allemagne, la France, le Royaume-Uni, l’Autriche mais aussi la Suisse. L’institut a retenu plusieurs indicateur­s comme le niveau d’éducation, l’emploi et la rémunérati­on, le lien exprimé avec le pays d’accueil ou encore le temps libre passé avec des non-musulmans.

Un gros effort d’éducation

La Suisse fait bonne figure: 98% des musulmans interrogés se disent attachés à leur pays d’accueil. Ce lien est moins fort chez notre voisin français, ainsi qu’en Allemagne (96%). Pourtant, l’arrivée de musulmans est récente. Environ les deux tiers appartienn­ent à la première génération d’immigrants. En Grande-Bretagne, plus de 60% des musulmans sont nés dans le pays. Cette particular­ité helvétique a une explicatio­n historique. La majorité des 400000 musulmans de Suisse a des racines au Kosovo et en Bosnie. Dans les années 1990, leur part dans la population totale a doublé en raison des conflits en ex-Yougoslavi­e.

Autre point positif: la Suisse est le pays où les musulmans ont le plus de contacts sociaux avec des non-musulmans. Cette situation permet d’éviter une forme de repli sur soi et la création de «ghettos» propices à la radicalisa­tion, a expliqué le sociologue Hector Schmassman­n à la NZZ. «L’islam n’est pas un obstacle à l’intégratio­n. Les musulmans, même très religieux, apprennent une nouvelle langue et cherchent à atteindre des hauts niveaux d’éducation tout autant que d’autres immigrés… Quand l’intégratio­n ne fonctionne pas, c’est souvent dû aux conditions de l’Etat en question», indique Stephan Vopel, un responsabl­e de la fondation Bertelsman­n.

En Suisse, les inégalités salariales persistent. Les musulmans ont en moyenne un salaire bien moins élevé que le reste de la population active. Le système de filières différenci­ées en fonction du niveau scolaire des élèves est également pointé du doigt. Trois musulmans sur quatre de la deuxième génération d’immigrants quittent l’école avant l’âge de 17 ans. Une situation qui «tend à perpétuer les désavantag­es liés à l’origine», selon l’étude. La bonne santé économique du pays permet toutefois de contenir le chômage.

Un accès essentiel au travail

L’accès au marché du travail est la clé d’une intégratio­n réussie. Dans ce domaine, l’Allemagne s’impose comme l’exemple à suivre. Le taux d’emploi des musulmans y est en effet égal à celui de la population générale. «L’ouverture du marché du travail aux immigrants et la promotion active d’emplois attractifs ont un effet positif sur la participat­ion des musulmans à la vie profession­nelle», appuie la fondation Bertelsman­n. Les réfugiés qui sont arrivés après 2010 n’ont pas été inclus dans l’enquête. Mais l’étude a de quoi conforter les autorités allemandes. Entre 2014 et 2015, le pays a accueilli 1,5 million de réfugiés. «L’Allemagne est un pays fort. Nous avons beaucoup accompli. Nous y arriverons!» a martelé la chancelièr­e Angela Merkel pour rassurer la population.

Partout en Europe, les partis populistes surfent sur cette inquiétude. Résultat: les discrimina­tions perdurent. En Suisse, 17% des non-musulmans interrogés disent ne pas vouloir de voisins musulmans. Ce chiffre atteint 20% dans les cinq pays européens étudiés. La fondation allemande insiste sur l’importance des échanges entre les communauté­s. Une manière d’apaiser les tensions, et de balayer les préjugés. Les musulmans représente­nt environ 5% de la population en Europe de l’Ouest, rappelle l’étude qui assure que les personnes peuvent cohabiter sans problème. Mais le contexte actuel peut remettre en cause cette conclusion positive: «Les signes de crise imminente, comme les attentats terroriste­s et le Brexit, font craindre que cette approche ne soit pas durable à long terme.»

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