Rencontre avec Slowdive, pionniers ressuscités du shoegaze
Vingt-deux ans après leur dernier album, les cinq Anglais reviennent avec un quatrième enregistrement qu’ils présentent ce vendredi au festival Nox Orae de La Tour-de-Peilz. «Notre musique n’est pas datée», explique le bassiste Nick Chaplin
C’est à Reading, près de Londres, que Neil Halstead et Rachel Goswell, deux amis d’enfance à la fois guitaristes et chanteurs, décident en 1989 de former un groupe. Bientôt rejoint par le bassiste Nick Chaplin, le batteur Simon Scott et un troisième guitariste, Christian Savill, Slowdive affine au fil de ses premières démos un son reposant sur des couches de guitares cachant derrière des effets de distorsion des mélodies éthérées et aériennes.
Il n’en faut pas plus pour que les Anglais soient repérés par le label Creation Records et soient affiliés à une scène que la presse a baptisée shoegaze, soit «le regard sur les chaussures», référence à des musiciens plus préoccupés par leurs pédales à effets que par leur jeu de scène.
Après trois albums diversement accueillis – Just for a Day (1991), Souvlaki (1993) et Pygmalion (1995) –, Slowdive se sépare au milieu des années 1990. Pour mieux revenir, auréolé d’un statut culte, en 2014. Trois ans plus tard, voici que sort un quatrième album, sobrement intitulé Slowdive, que le groupe présente ce vendredi à La Tour-de-Peilz. Coup de fil au bassiste Nick Chaplin.
A l’époque de sa sortie, «Pygmalion» avait été accueilli assez froidement, avant que vous ne deveniez un groupe culte suite à votre disparition. Or cette année, «Slowdive» bénéficie d’un incroyable accueil critique… Quand on a formé le groupe, on était très jeune, on avait 19-20 ans. Nos trois premiers E.P. publiés sur Creation ont eu d’excellentes critiques, tout le monde semblait adorer notre musique. On s’est alors habitué à l’idée que nous étions géniaux, mais nos trois albums n’ont ensuite pas été très bien reçus.
Et à la sortie de Pygmalion, personne ne sait quoi faire de ce disque, y compris notre label. La presse musicale avait changé. C’est donc d’autant plus agréable, cette année, d’entendre autant des commentaires sympathiques sur notre quatrième album. Etre repéré par Creation, qui était vraiment «le» label du moment, a dû être quelque chose d’excitant… En effet, si on nous avait demandé sur quel label nous rêvions de signer, on aurait répondu Creation ou peut-être 4AD. Ce n’est plus le cas aujourd’hui, mais au début des années 1990, être produit par tel ou tel label était quelque chose de très important. Creation avait The House of Love, My Bloody Valentine, Ride, The Jesus and Mary Chain, Primal Scream, des groupes très populaires en Angleterre dont on était fan. Quand le patron Alan McGee a appelé Neil pour lui dire qu’il voulait signer Slowdive, on a cru rêver.
Avez-vous alors eu l’impression de faire partie d’une famille et de vraiment contribuer à la naissance d’un mouvement, ce qu’on a appelé le shoegaze? On se voyait comme les enfants de cette famille, car chaque fois qu’on venait dans les bureaux de Creation on était les plus jeunes. Bobby Gillespie (premier batteur de The Jesus and Mary Chain et chanteur de Primal Scream, ndlr) était assis là, les gens parlaient au téléphone avec My Bloody Valentine. Nous, on était des gamins. On était heureux tout en se demandant si nous méritions notre place. Creation nous a beaucoup soutenus. Il a été écrit qu’on a été viré après la sortie de Pygmalion et que cela a précipité la séparation du groupe, mais c’est un peu différent. A cette époque, ils avaient Oasis, se concentraient sur la britpop pour viser de gros succès, et voilà que nous leur offrions un album expérimental. Mais ils l’ont sorti quand même, et nous sommes d’ailleurs restés amis avec Alan. Il a dirigé un des labels indépendants les plus importants de l’histoire de la musique anglaise, nous sommes heureux d’en avoir fait partie.
Vous vous produisez vendredi soir au festival Nox Orae, un jour avant The Jesus and Mary Chain, un groupe découvert par Creation et qui a profondément marqué l’histoire du rock avec son premier album, «Psychocandy», en 1985. Peut-on considérer ce disque comme la première trace de ce qu’on appellera le shoegaze? Avec Christian, on se disputait souvent pour savoir quelle était la meilleure année des eighties, 1987, 1988 ou 1989. Imaginez, durant ces trois années sont sortis des disques comme Daydream Nation de Sonic Youth, Isn’t Anything de My Bloody Valentine, Technique de New Order, Disintegration de The Cure, Heaven’s End de Loop… J’avais 14 ans au moment de Psychocandy, et je me souviens que lorsque j’ai découvert des titres comme «Some Candy Talking» et «Just Like Honey» sur Radio 1, une chaîne populaire qui passait plutôt Duran Duran et Frankie Goes to Hollywood, je me suis demandé ce qu’était cette musique si différente. Je pense que vous avez raison, Psychocandy a marqué l’apparition de quelque chose de nouveau.
Le shoegaze a fait long feu, mais est revenu à la mode avec de nombreux jeunes groupes, notamment aux EtatsUnis, se réclamant de groupes comme My Bloody Valentine, Ride et Slowdive. Comment expliquez-vous ce phénomène? Par rapport au punk, qui repose sur des morceaux de trois minutes qui peuvent vieillir vite, le shoegaze est plus mélodique; il s’agit d’une musique que vous pouvez écouter au casque en vous endormant. Ce n’était pas conscient à l’époque, mais le shoegaze n’est pas daté, il a quelque chose d’intemporel. Il y a dans le son et les arrangements quelque chose qui peut rappeler la musique classique, qui elle aussi ne vieillit pas.
Quelle impression cela fait d’être bassiste dans un groupe très axé sur les nappes de guitare? C’est une excellente question, et je crois même que personne ne me l’a jamais posée avant! Les bassistes que je respecte le plus sont des gens qui en jouent comme si ce n’était pas une basse – Peter Hook de New Order et Joy Division, Simon Gallup de The Cure. J’ai toujours adoré les groupes qui placent la basse devant, comme Savages pour prendre un exemple actuel. Je ne suis pas forcément capable de jouer comme eux, mais j’essaie d’apporter un fort soutien mélodique. Même si c’est agréable de lire parfois des commentaires sur la basse chez Slowdive, cela ne me dérange pas que Rachel, Neil et Christian reçoivent les éloges.
■
«Par rapport au punk, qui repose sur des morceaux de trois minutes qui peuvent vieillir vite, le shoegaze est plus mélodique. Et donc impérissable» NICK CHAPLIN, BASSISTE DE SLOWDIVE