Le Temps

La «Tribune» de Lausanne inquiète

- SYLVIA REVELLO @sylviareve­llo

MÉDIAS L’annonce de Tamedia de regrouper certaines rubriques de la «Julie» à Lausanne est perçue comme une perte de patrimoine culturel par les internaute­s sur les réseaux sociaux

Une partie de la Tribune de Genève déménagera à Lausanne, aux côtés de 24 heures et du Matin Dimanche: l’annonce de l’éditeur zurichois Tamedia passe mal à Genève, où la «Julie» fait partie du paysage depuis 1879. Sur les réseaux sociaux, les Genevois se sentent «dépossédés» par cette «délocalisa­tion» partielle qui vient s’ajouter à de précédente­s pertes, La Suisse en 1994, le Journal de Genève en 1998. En mai 2015, Le Temps s’est lui aussi déplacé dans la capitale vaudoise, à la demande de son éditeur Ringier.

Principale crainte: voir l’ADN du bout du lac disparaîtr­e. «La Tribune de Lausanne, et puis quoi encore?» s’insurge un internaute. Le monde politique, lui aussi, s’émeut. Après la réaction du Conseil d’Etat genevois, l’ancien maire Manuel Tornare a pris position mercredi face à Ariane Dayer, future responsabl­e de la nouvelle entité, sur les ondes de la RTS. «Je suis triste et en colère comme 90% des Genevois aujourd’hui qui se sentent orphe- lins. La Tribune est un symbole de la ville. Elle va devenir comme France 3 Angoulême.»

Pour certains internaute­s, l’éloignemen­t du titre sonne le début de la fin du journalism­e de terrain. «A l’ère du numérique, la proximité est essentiell­e aux journalist­es», lit-on sur Facebook. D’autres craignent que le travail se réduise à «semer paresseuse­ment les dépêches des grandes agences de presse». Un autre usager renchérit: «A quand un jour, une offre publique d’achat pour sauver la Suisse romande, cette région qui nous est si chère?»

Peut-on informer les lecteurs sur l’actualité genevoise depuis Lausanne? Un journalist­e web de la TdG en doute sur son blog personnel. «Le changement se fera sentir insidieuse­ment, dans le choix des nouvelles, leur tonalité, un peu comme Lausanne se distingue de Genève, estime Jean-François Mabut. Vu de New York, de Pékin, de Berlin ou de Paris, les 60 kilomètres qui séparent la République du bout du lac du chef-lieu du Pays de Vaud ne sont rien…» Et pourtant, conclut-il, «Lausanne est romande, Genève est un carrefour des mondes». Avec ses organisati­ons internatio­nales, ses diplomates, ses ONG.

En toile de fond, la crainte d’un journal romand unique. Alors que la future cohabitati­on est prévue pour le 1er janvier, certains préfèrent gloser autour de l’éternelle rivalité valdo-genevoise. «Pas aisé de placer des Vaudois et des Genevois longtemps à la même table, les vilains Zurichois le savent très bien, ils vont feinter, sûr», ricane une internaute.

Mais la centralisa­tion à venir dépasse largement la crise d’ego. La diversité de la presse est en jeu et, comme après chaque tremblemen­t, des solutions émergent pour tenter de la préserver. «La presse souffre, boite et agonise, déplore l’un des blogueurs du Temps Julien Grange. Est-elle une industrie parmi tant d’autres à se faire secouer par les forces démoniaque­s de la digitalisa­tion et de l’automatisa­tion? Certaineme­nt. Mais pas que.»

Comment survivre? En empoignant la transition digitale, en inventant de nouvelles formes de revenus (abonnement­s payants, événements, accès aux données) et de storytelli­ng. Tout en évitant le piège de la course aux clics. «Le rôle de la presse n’est plus uniquement de générer de l’informatio­n, mais de la trier», estime-t-il.

En février dernier déjà, un autre blogueur du Temps, Marc Münster, rêvait la Suisse romande en «laboratoir­e du paysage médiatique de demain»: «Si personne ne peut trouver la solution seul, c’est qu’il faut le faire ensemble.»

▅ Le 27 mars dernier, manifestat­ion devant le siège de la «Tribune de Genève» pour protester contre des licencieme­nts.

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(MARTIAL TREZZINI/KEYSTONE)

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