Mort mystérieuse au fond de la Baltique
La journaliste Kim Wall a été aperçue pour la dernière fois vivante à bord du sous-marin «Nautilus» en compagnie de l’inventeur excentrique de l’engin. La découverte de son corps mutilé a jeté l’épouvante. Qu’a-t-il bien pu se passer?
«C’est quelqu’un de très étrange, et cela fait de lui son principal ennemi» LE DEMI-FRÈRE DE PETER MADSEN
C’est la rencontre de deux trajectoires extraordinaires, qui s’est achevée en drame. La police danoise a confirmé mercredi que le tronc humain retrouvé dans les eaux danoises, quelques kilomètres au sud de Copenhague, était bien celui de la journaliste Kim Wall, 30 ans, disparue depuis deux semaines. Jeudi, le parquet danois annonçait qu’il soupçonnait désormais Peter Madsen, un inventeur autodidacte, d’avoir commis le meurtre de la jeune femme de manière intentionnelle, tandis qu’il était inculpé jusqu’ici pour «homicide involontaire par négligence».
Une reporter intrépide
Les hommages pleuvent pour Kim Wall, Suédoise d’origine qui avait transformé la planète entière en un vaste terrain d’aventures pour y traquer les meilleures histoires. Cérémonies vaudoues en Haïti, tourisme en Corée du Nord, décharges radioactives dans les îles Marshall. Kim Wall vivait entre New York et Pékin et dans ses reportages, repris par certains des plus prestigieux journaux et magazines, elle ne reculait pas devant les personnages en apparence les plus farfelus. Sa description d’une communauté de «vampires», amateurs de sang humain, ou son portrait du concepteur – allemand – d’un lanceur de fusées pour le Libyen Mouammar Kadhafi cherchaient pourtant davantage à souligner l’humanité des protagonistes que leur excentricité.
Pas étonnant, dès lors, que la jeune journaliste se soit intéressée à Peter Madsen. Danois et Suédois connaissaient bien cette sorte de professeur Tournesol, familier des médias auprès desquels il suscitait une curiosité teintée d’ironie. Il y a quelques mois, l’inventeur se plaçait dans une capsule au bout d’une centrifugeuse, avant d’être propulsé en tenue de pilote dans un carrousel effréné, applaudi par quelques dizaines de supporters. «Ma passion, c’est de trouver le moyen de voyager dans des mondes au-delà du connu», disait-il sur le site de son «Rocket Madsen Space Lab». En attendant d’atteindre cet objectif, quelques dizaines de volontaires l’entouraient pour poursuivre son rêve: être le premier privé à lancer dans l’espace un vol habité.
Pour paraître loufoque à bien des égards, Peter Madsen n’en était pas à son coup d’essai. A 7 ans, il construit sa première fusée; à 18, il inaugure son premier sous-marin, qui sera suivi de deux autres, dont son bijou, le UC3 Nautilus, un submersible de bande dessinée de 40 tonnes, grâce auquel Madsen devient le concepteur du plus grand engin de ce type à titre privé.
Des versions contradictoires
Car l’inventeur est aussi propriétaire de son Nautilus, qui devient ainsi son principal outil de promotion. Les volontaires qui l’avaient aidé à lancer son projet et à le financer grâce à une campagne participative ont été par la suite écartés sans ménagement. L’homme y organise des expéditions, des soirées, s’en servait aussi comme moyen de remorquer les plateformes sur lesquelles il poursuit les essais de lancement de sa fusée, pompeusement appelée HEAT 1X Tycho Brahe.
C’est à bord du Nautilus que Kim Wall a été vue vivante pour la dernière fois, au soir du 10 août et prise en photo, tout sourire, aux côtés de son hôte. Sa ville natale de Trelleborg, où elle rendait visite à ses parents, n’est qu’à quelques dizaines de kilomètres de Copenhague. L’occasion était tout offerte d’un reportage amusant à moindres frais.
Le lendemain, c’est le compagnon de la journaliste qui annonce sa disparition de Chine, où la jeune fille devait le rejoindre et s’installer quelques jours plus tard. La marine danoise retrouve le Nautilus au large des côtes, mais le sous-marin se met mystérieusement à couler tandis qu’elle s’approche en hélicoptère. Extrait du submersible, Peter Madsen prétend d’abord avoir déposé à terre la jeune femme la veille au soir. Puis il change de version expliquant que, à la suite d’un accident qui lui avait coûté la vie, il a paniqué et jeté son corps par-dessus bord.
Le torse perforé
La découverte macabre du tronc mutilé de la jeune femme semble pourtant complètement contredire cette dernière version. Les résultats de l’autopsie, dévoilés par les enquêteurs danois, sont glaçants. Non seulement les membres et la tête ont été sectionnés délibérément, mais le torse, lesté par des objets en métal, a été perforé afin qu’il ne puisse pas s’emplir d’air et remonter à la surface. Pour les enquêteurs, il ne semble plus faire de doutes désormais que le Nautilus a été intentionnellement sabordé par Peter Madsen afin de détruire toute preuve supplémentaire.
A mesure que les soupçons se font plus insistants, les proches de l’inventeur danois de 46 ans ont souligné son caractère difficile. «C’est quelqu’un de très étrange, et cela fait de lui son principal ennemi», disait son demi-frère à un tabloïd suédois. Un ancien ami enchérissait dans un journal danois: «Le conflit l’a poursuivi toute sa vie. Il ne s’entend avec personne.» Peter Madsen lui-même avait eu ces mots, présentés aujourd’hui comme tragiquement prémonitoires: «Le Nautilus est maudit. Et la malédiction qui pèse sur lui, c’est moi.»
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