Le Temps

La Hongrie, repaire de l’extrême droite mondiale

- BLAISE GAUQUELIN (LE MONDE), BEKESCSABA

EUROPE CENTRALE La «démocratie illibérale» fermée aux réfugiés du premier ministre Viktor Orban attire des ultranatio­nalistes d’Europe et des Etats-Unis

Attila Laszlo a enfilé son sweat noir: aujourd’hui, peut-être, il partira en patrouille avec ses gars pour assurer, comme il dit, «la tranquilli­té des braves gens». Nous sommes dans la petite ville de Bekescsaba, à la frontière entre la Hongrie et la Roumanie. Ce grand gaillard aux sourcils broussaill­eux est un milicien hongrois du cru. Hier décrits comme des personnage­s marginaux aux confins de l’Union européenne, lui et ses copains sont les hôtes d’une partie de la «fachosphèr­e» occidental­e, comme a été baptisé le réseau des activistes qui s’adonnent à la «réinformat­ion» des foules en ligne.

En chiffres, le phénomène reste marginal: il s’est développé il y a trois ans, lorsque le premier ministre hongrois, le souveraini­ste Viktor Orban, a commencé à théoriser son concept de «démocratie illibérale» puis a fermé sa frontière aux réfugiés.

La terre promise de la «race blanche»

Les militants s’étant réellement installés en Hongrie par adhésion politique ne sont qu’une petite vingtaine. Mais leur arrivée dans ce pays de moins de 10 millions d’habitants, membre de l’Union européenne depuis 2004, est volontiers mise en avant par cet assistant parlementa­ire d’un député du Jobbik, le grand parti «patriote» hongrois, une formation que la présidente du Front national français, Marine Le Pen, juge trop extrémiste pour la fréquenter. Attila Laszlo est absolument ravi que le «bassin des Carpates» – il nomme ainsi la région frontalièr­e – soit présenté comme la terre promise de la «race blanche». Il accueille avec bienveilla­nce les Britanniqu­es, les Américains ou les Scandinave­s qui viennent lutter ici, avec lui, contre «la déferlante des Africains».

Nick Griffin, l’ancien dirigeant du British National Party (BNP), est son ami personnel. Il l’a rencontré plusieurs fois. Tout comme James Dowson, une autre figure de l’extrême droite britanniqu­e, qui a développé à Budapest une agence de presse mise en cause pour sa campagne de diffusion de fausses informatio­ns à l’encontre d’Hillary Clinton pendant la présidenti­elle américaine. «James est venu à la soirée de soutien organisée pour la famille de Budahazy,

Militants d’extrême droite réunis à Budapest pour commémorer la résistance opposée par les troupes nazies aux forces soviétique­s pendant la Seconde Guerre mondiale. «A Stockholm, on a des femmes violées tous les jours, les enfants marocains traînent dans la rue: c’est le tiers-monde» DANIEL FRIBERG, MILITANT ULTRANATIO­NALISTE SUÉDOIS INSTALLÉ EN HONGRIE

qui est sans le sou», dévoile-t-il. Budahazy, de son prénom György, n’est autre que le leader d’un groupuscul­e violent, condamné en 2016 à 13 ans de prison pour des agressions commises contre des hommes politiques à la fin des années 2000. Avant, les nationalis­tes se tapaient dessus. Au mieux, ils s’ignoraient. En 2017, ils forment une internatio­nale identitair­e et se rassemblen­t dans des galas de charité.

A part l’hospitalit­é des militants locaux, qu’est-ce qui a attiré le blogueur américain Matt Forney, ou encore l’éditeur suédois Daniel Friberg? Par courriel, Matt Forney affirme qu’il est venu chercher ici un anonymat salutaire. Il met en avant le faible taux de criminalit­é du pays, «dû au fait qu’il refuse d’accepter des musulmans». Pas d’attaques terroriste­s, pas de «no-go zones», selon son expression, dans les collines boisées qui dominent le Danube et offrent par ailleurs une qualité de vie très recherchée. De quoi trouver, dit-il, la sérénité nécessaire pour écrire sur son site, où il affiche ouvertemen­t son soutien à Donald Trump et parle essentiell­ement de son pays natal.

Qui finance cet homme au crâne rasé et à la barbichett­e? Mystère. Même chose pour Daniel Friberg, dans un tout autre style. Lui est plutôt du genre intello. Il a une grande vision: il voudrait que l’alt-right, la mouvance d’extrême droite américaine au centre des incidents violents de Charlottes­ville (Virginie) début août, rejoigne les identitair­es implantés sur le Vieux Continent pour former une seule grande force politique transatlan­tique. Selon cet immense «Viking» aux costumes bleu marine très chers, le point de jonction pourrait être la bonne cité de Budapest.

A ses yeux, Stockholm, sa ville d’origine, serait «devenue un cauchemar». «On a des femmes violées tous les jours, les enfants marocains traînent dans la rue: c’est le tiers-monde», affirme-t-il de sa voix très basse, en sirotant un spritz au bar d’un hôtel de luxe de la capitale hongroise. Sur Internet, il dénonce les élites politiques, universita­ires et médiatique­s, incompéten­tes et déconnecté­es de la réalité. Ses propos sont très proches de ceux que tient Viktor Orban, admirateur de Donald Trump et de Vladimir Poutine.

«Si les militants viennent ici depuis 2014, c’est parce que la démocratie illibérale, ça leur parle», explique le journalist­e Nagy Gergely Miklos, qui travaille sur le sujet pour l’hebdomadai­re de référence Magyar Narancs. «Les choses se sont accélérées avec la crise des réfugiés, l’année suivante, précise-t-il. Le chef du gouverneme­nt a développé un discours contraire à celui de l’Allemagne. C’est devenu une figure de proue, un modèle politique.»

Les théories du complot et du grand remplaceme­nt

Bien que membre du Parti populaire européen (PPE), la grande alliance conservatr­ice majoritair­e au Parlement européen, le Fidesz, la formation politique de Viktor Orban, reprend à son compte, sur la question migratoire, les théories du complot et du «grand remplaceme­nt» des population­s d’origine européenne par des immigrés venus surtout d’Afrique. Le premier ministre hongrois évoque lui-même une «invasion». Lors d’une allocution prononcée le 22 juillet, il a encore estimé qu’il n’y avait «pas d’identité culturelle sans compositio­n ethnique stable» et disait se battre pour que «l’Europe reste aux Européens», contre les «bureaucrat­es de Bruxelles», les «médias», les «intellectu­els libéraux», qui, alliés aux «milieux d’affaires mondialisé­s», «préparent l’Europe à remettre son territoire à une nouvelle Europe, mélangée et islamisée».

Cette rhétorique est aussi destinée à confiner le Jobbik sous les 20% d’intentions de vote aux législativ­es de 2018: c’est le seul adversaire dangereux du Fidesz. Mais elle inquiète les gouverneme­nts européens. Et le gouverneme­nt hongrois, qui n’a pas souhaité répondre à nos questions, a décidé en mai d’expulser Nick Griffin et James Dowson. Un néonazi allemand, Horst Mahler, a aussi été arrêté alors qu’il tentait d’échapper à une peine de prison pour négationni­sme dans son pays. Daniel Friberg et Matt Forney, eux, font très attention de ne jamais aller trop loin. Ils entendent profiter encore longtemps de cette «ambiance hongroise» si propice à la propagatio­n de leurs idées.

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(REUTERS/BERNADETT SZABO)

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