Le Temps

A vendre: 264 cornes de rhinocéros

Depuis mercredi, 500 kilos de cornes de rhinocéros sont légalement vendues sur Internet par John Hume, le plus gros éleveur sud-africain. Une première, dénoncée par les organisati­ons de protection des animaux

- VALÉRIE HIRSCH, JOHANNESBU­RG @valeriehir­sch

La corne de rhinocéros, cette corne d’abondance. Plus cher que l’or ou la cocaïne, cet amas de kératine (la même substance que nos ongles et nos cheveux) se monnaie jusqu’à 60000 dollars le kilo sur le marché noir au Vietnam ou en Chine. Paré de prétendues vertus médicinale­s miraculeus­es et symbole de réussite sociale, l’appendice a donné naissance à un sanglant trafic de contreband­e, avec plus de 1050 rhinos exterminés l’an dernier en Afrique du Sud.

Faire diminuer le prix sur le marché noir, c’est le pari lancé par le plus gros éleveur privé sud-africain, John Hume. Depuis mercredi, il a mis aux enchères sur la Toile 264 cornes (environ 500 kilos) prélevées sur son cheptel de plus de 1500 bêtes. La vente sera clôturée vendredi 25 août à 14 heures.

Permis nécessaire

Hume fait scier les cornes de ses animaux tous les vingt mois, le temps qu’elles mettent pour repousser. Tout en protégeant ses bêtes décornées des risques d’être tuées par des trafiquant­s, il a accumulé un stock de plus de six tonnes qu’il voudrait bien valoriser. Mais ce n’est pas l’argument qu’il met en avant. «Chaque mois, mes dépenses de sécurité atteignent 170 000 dollars (159000 francs). C’est intenable!» Les 330 éleveurs privés du pays auraient consacré plus de 100 millions de dollars en huit ans pour protéger leurs 6300 rhinos. «Si on ne les autorise pas à vendre leurs cornes, ils devront fermer, poursuit Hume. De plus, si on inonde le marché de ventes légales, le prix de la corne va baisser et le marché noir sera moins attractif.» Pour le fermier sud-africain, l’élevage en captivité à des fins commercial­es est la seule solution pour assurer la survie des quelque 13000 rhinos sauvages d’Afrique du Sud.

Mais le pari n’est pas gagné. Les acheteurs devront obtenir un permis auprès des autorités sud-africaines. Celles-ci ont mis en place une banque de données pour suivre toutes les cornes vendues dans le pays. La position du gouverneme­nt de Pretoria, qui posséderai­t lui-même un stock de 25 tonnes de cornes, est ambigüe: même si elle a essayé d’empêcher la vente aux enchères, la ministre de l’Environnem­ent Edna Mowena pense que «la légalisati­on du commerce peut soutenir les efforts de conservati­on».

Site rédigé en chinois

En théorie, les cornes devront rester dans le pays: l’embargo internatio­nal imposé depuis 1977 par la Cites (Convention sur le commerce internatio­nal des espèces de faune) interdit l’exportatio­n à des fins commercial­es. Mais des permis peuvent être accordés à des fins privées pour l’exportatio­n de deux cornes au maximum: une possibilit­é utilisée dans le passé par de soi-disant «chasseurs» vietnamien­s, jusqu’à ce que le gouverneme­nt sud-africain siffle la fin de la récréation. Hume ne fait d’ailleurs pas mystère de la clientèle qu’il vise. Son site internet est rédigé en anglais, vietnamien et chinois…

«On ne peut pas faire confiance à un gouverneme­nt, dont l’efficacité de la bureaucrat­ie est douteuse, pour rég uler la vente. Quand on sait, par exemple, que le ministre sud-africain chargé de la Sécurité d’Etat, David Mahlobo, a été impliqué dans la contreband­e de cornes, on ne peut pas être optimiste», souligne Ross Harvey, chercheur à l’Institut des affaires internatio­nales, dans un article publié sur le site The Conversati­on. «Légaliser la vente ne réduira pas la demande», ajoute Joseph Okori du Fonds internatio­nal pour la protection des animaux (IFAW). Elle pourrait même l’augmenter, en faisant croire à la clientèle asiatique que le commerce est désormais autorisé.

Explosion du braconnage

Partisans et opposants sont en désaccord sur l’origine de l’explosion du marché noir, qui menace la survie des derniers 29000 rhinocéros blancs d’Afrique (80% vivent en Afrique du Sud). Le braconnage a explosé depuis dix ans, passant de 83 victimes en 2008 à 1215 en 2014. Selon Hume, c’est l’embargo internatio­nal et surtout le moratoire sur la vente des cornes adopté par l’Afrique du Sud en 2009 (levé en avril dernier par un arrêt de la Cour constituti­onnelle) qui ont fait exploser le braconnage. Mais pour les défenseurs des animaux, une forte hausse de la demande au Vietnam à partir de 2006 est à l’origine du trafic de cornes.

L’objectif des éleveurs privés est de mettre fin à l’embargo internatio­nal, en mettant en place un commerce légal contrôlé vers les pays asiatiques. «Si on ne prend pas des mesures pour rencontrer la demande, nous ne sauverons pas les rhinos», pense Hume.

Il est vrai que les campagnes d’informatio­n menées par des ONG pour décourager la demande dans les pays asiatiques n’ont pas encore eu de réel impact. Mais «libérer le commerce risque aussi d’aboutir à une explosion de la demande», selon Julian Rademeyer, l’auteur d’un livre sur le sujet, Killing for Profit. Si la corne devient populaire parmi la classe moyenne en Chine, même les éleveurs privés sudafricai­ns ne pourront pas satisfaire la demande.

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(AFP PHOTO/ALEXANDER JOE)

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