«A Genève, la danse contemporaine s’autorise tout»
Ultime lever de rideau pour Claude Ratzé. Le futur patron du festival de La Bâtie signe sa dernière saison à la tête de l’Association pour la danse contemporaine. Ses conseils
Une vie d’oiseau de nuit gourmet dans des cartons. Claude Ratzé vit une drôle de rentrée: comme chaque automne depuis 1993, il lancera la nouvelle saison de l’Association pour la danse contemporaine (ADC); mais pour la première fois, il désertera son perchoir de directeur de l’ADC en cours de vol. Fini, ces soirées de première où il régnait sur ses marmites, histoire de régaler le public de la Salle des Eaux-Vives. Dès le 1er novembre, il sera aux commandes de La Bâtie - Festival de Genève, comme pour revenir sur ses pas: jusqu’en 2001, il était responsable de sa programmation danse.
Au bistrot, l’autre matin, il pose dans vos mains un livret, toute la saison de l’ADC sous ce titre-slogan: «Promesses de danse». Sur la photo, une jeune fille de dos en short rouge, une guitare pop dans la main, reçoit l’hommage d’un garçon, un baiser, qui sait. L’affiche baigne dans la douceur d’une lande irlandaise. «Quand j’ai construit cette programmation, je ne savais pas que ce serait la dernière. Elle n’exprime donc aucune nostalgie. J’ai voulu qu’elle soit ouverte sur les enjeux de demain, qu’elle préfigure ce que pourrait être le Pavillon de la danse, cette salle qui verra le jour en 2019, on l’espère, sur la place Sturm.»
Quelle est la priorité de la saison? Continuer à rassembler un public large. La saison passée, près de 19000 spectateurs ont assisté à nos spectacles à la Salle des Eaux-Vives et à la Fête de la musique. C’est la raison pour laquelle nous nous sommes de nouveau associés au festival Steps, pour accueillir au printemps Sidi Larbi Cherkaoui et les danseurs de l’Opéra de Göteborg; dans le même ordre d’idée, nous invitons, avec le Théâtre Forum Meyrin, la Batsheva Dance Company, la compagnie de l’Israélien Ohad Naharin, une figure.
«Il y a vingt ans, la scène tournait autour de trois, quatre figures ancrées à Genève; aujourd’hui, il y a profusion d’artistes, d’ici et d’ailleurs»
S’il fallait résumer cette programmation à un axe? Je vous en donnerais deux. L’introspection d’un côté, l’anticipation de l’autre. Des interprètes comme Tamara Bacci et Eugénie Rebetez se pencheront sur leur histoire. Dans Sull’ultimo movimento, la première se demandera ce que lui ont laissé les chorégraphes pour lesquels elle a travaillé. La seconde se raconte à la première personne dans Bienvenue, comme elle a pu le faire dans Gina. Côté anticipation, le Français Brice Leroux, expert en jeux d’optique, invente dans Création 2018 un mouvement aux confins du visible.
Quel est le spectacle que vous recommanderiez à celui qui n’a jamais vu de danse contemporaine? Bienvenue d’Eugénie Rebetez, parce que c’est une artiste d’un incroyable charisme. Et pour les mêmes raisons, Robot, l’amour éternel, de la danseuse d’origine japonaise Kaori Ito.
Même question, mais pour celui qui a déjà tout vu? Nina Santes, une artiste qui vient du monde de la marionnette et qui joue avec l’imaginaire de la sorcellerie dans sa pièce Hymen hymne. Qu’est-ce qui a changé sur la scène de la danse contemporaine genevoise? Il y a vingt ans, nous n’aurions jamais osé un slogan aussi sibyllin que «Promesses de danse». Aujourd’hui, nous pouvons compter sur un public réactif et engagé. La scène elle-même a totalement changé: à l’époque, elle tournait autour de trois quatre figures ancrées à Genève; aujourd’hui, il y a profusion d’artistes. Ce qui les distingue, c’est qu’ils sont d’ici et d’ailleurs, je veux dire par là que beaucoup tournent. La concurrence est beaucoup plus forte.
Au fond, quel est le message de cette saison? Elle dit que la danse contemporaine est libre, qu’elle s’autorise tout ou presque. Elle peut regarder dans le rétroviseur, anticiper, s’emparer de sujets sensibles, jouer avec les formes. C’est ce qui la rend aussi stimulante.
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