Le Temps

Djourou, récit d’un achat

Annoncé à West Ham, Trabzon, Montpellie­r, Sion ou Sheffield, le défenseur internatio­nal suisse a finalement signé le 7 août à Antalya en Turquie, point final de huit mois de doutes et de négociatio­ns

- LAURENT FAVRE t @LaurentFav­re

SPORT Le footballeu­r suisse jouera désormais au sein du club turc Antalyaspo­r, après quelque huit mois de tractation­s. Comment ce transfert s’est-il réalisé? Le Temps en explore les dessous avec l’agent du joueur.

La nouvelle en a surpris beaucoup et dérouté quelques-uns. Le 7 août, Johan Djourou s’est engagé pour trois saisons (deuxplus une en option) avec le club turc d’Antalyaspo­r. Après la Premier League et la Bundesliga, le défenseur central de l’équipe de Suisse (30 ans, 64 sélections) devrait découvrir samedi sur le terrain de Malatyaspo­r la bouillante Süper Lig.

Ce choix inattendu est apparu moins étrange lorsque, quinze jours après Djourou, la star de Manchester City Samir Nasri a signé à son tour dans ce club ambitieux, qui compte aussi dans ses rangs le Camerounai­s Samuel Eto’o ou le Français Jérémy Menez. Mais la question demeure: pourquoi le Genevois, annoncé un peu partout depuis six mois, a-t-il choisi Antalya?

Pour Le Temps, son agent, Costa Bonato, a accepté de dévoiler les coulisses de ce transfert et de raconter la vie d’un footballeu­r en fin de contrat. Costa Bonato est un personnage atypique dans le milieu, qui ne se gêne pas de dire qu’il ne connaît pas grand-chose au football et qu’il s’y intéresse encore moins. Le genre d’agent capable d’exiger un très bas salaire – 250 livres par mois, lorsque Johan Djourou signe à 16 ans à Arsenal («Il devait prouver d’abord») – comme de reverser 50% de ses propres revenus dans la fondation Kémi-Malaïka, qui scolarise des enfants au Sénégal.

Le bal des intermédia­ires

Un joueur dans sa dernière année de contrat est libre au 1er janvier d’entamer des discussion­s avec d’autres clubs pour la saison suivante. Pour Costa Bonato, le dossier du transfert de Johan Djourou a donc duré près de huit mois. L’agent comme le joueur n’en sont pas sortis indemnes. «Pour la première fois de sa carrière, Johan s’est retrouvé libre. Au 30 juin 2017, il n’avait plus de contrat, plus de salaire, plus de sécurité. C’était nouveau pour lui et forcément perturbant, cela a créé beaucoup de tensions entre nous alors que nous avons depuis quinze ans une relation qui dépasse le cadre du football. Un joueur de 30 ans, libre, avec 150 matches de Premier League et deux Coupes du monde, cela intéresse tout le monde. Et tout le monde veut s’en mêler. Une quarantain­e d’agents ou d’intermédia­ires sont entrés en contact avec nous ou ont tenté de s’immiscer, via des proches, la famille, des coéquipier­s de Johan ou mes partenaire­s en affaires, pour toucher une commission.»

Avant d’aller quelque part, Johan Djourou a d’abord décidé de partir. De quitter Hambourg, après quatre saisons rocamboles­ques. Il avait rejoint les bords de l’Elbe en 2013 pour un projet sportif. Le Hambourg SV est une institutio­n en Allemagne, jamais relégué, poussé par un public fervent. C’est aussi un Marseille du nord, instable, constammen­t travaillé par des luttes intestines.

En quatre ans, Johan Djourou aura connu huit entraîneur­s, deux barrages contre la relégation, plusieurs présidents et directeurs sportifs, des dizaines de nouveaux joueurs. «Ce n’était clairement pas le projet annoncé», résume l’agent. Alors qu’il entame sa dernière saison de contrat avec le brassard de capitaine, son joueur refuse de prolonger au HSV. Il partira donc sans que le club touche d’indemnités. «A partir de là, les ennuis ont commencé», révèle Costa Bonato.

Mobbing et campagne de presse

Johan Djourou perd tout d’abord son brassard en novembre. Puis sa place de titulaire, en partie parce qu’il a joué toute la fin de la saison précédente malgré une mononucléo­se tardivemen­t décelée. «Le club a minimisé sa maladie, a voulu parler d’un simple «virus», dévoile Costa Bonato. Je les ai forcés à dire la vérité dans un communiqué. Johan aurait ensuite dû se reposer mais il voulait absolument aider le club à se sauver [14e place finale] puis participer à l’Euro. Hambourg ne l’a jamais publiqueme­nt remercié d’avoir ainsi joué avec sa santé. Comme je le craignais, il l’a payé à l’automne et pour tout le monde dans le milieu, c’est parce qu’il avait 30 ans et qu’il était cramé…»

Djourou en disgrâce, le club turc de Trabzonspo­r sent qu’il y a une affaire à faire. Nous sommes en novembre 2016, il faut encore passer par le club pour négocier. Hambourg refuse. Pourtant, l’entraîneur Markus Gisdol s’en prend à Johan Djourou qui, dit-il, l’a critiqué dans les journaux. Le voici désigné fauteur de troubles, pomme pourrie du vestiaire, convoqué par la direction du club. «S’il y en a bien un qui ne pose jamais de problème, c’est bien Djourou», témoigne pourtant Ottmar Hitzfeld.

Une vengeance à 3 millions

Durant le mercato d’hiver, Costa Bonato reçoit trois offres: de l’Impact de Montréal, de Chine et de Crystal Palace. Les Chinois offrent un salaire de 3,5 millions de dollars par an, net, pendant trois ans. «Je les présente à Johan qui ne veut pas étudier de propositio­ns venant de championna­ts qui le discrédite­raient pour l’équipe de Suisse.» Pas de Super League chinoise ni de MLS nord-américaine. En revanche, Crystal Palace, où Djourou a l’estime de l’entraîneur Sam Allardyce, serait idéal.

Mais le club londonien, qui piste aussi Mamadou Sakho de Liverpool, le veut tout de suite, ce qui implique l’accord de Hambourg. Les Anglais sont prêts à payer 3 millions de livres pour racheter les six derniers mois de contrat mais Markus Gisdol refuse. Il compte sur Djourou.

A la reprise pourtant, le Suisse ne joue toujours pas. Il n’est même pas convoqué. N’a pas le droit de jouer avec les M21. Est écarté de l’équipe au début du mois de mai. L’entraîneur l’a «cassé», mais ce plaisir mesquin a coûté 3 millions à Hambourg.

Au moins les choses sont claires: Costa Bonato peut trouver un nouvel employeur à son client. Le club idéal doit réunir quatre critères: appartenir à l’un des quatre grands championna­ts européens (par ordre de préférence: Allemagne, Angleterre, Espagne, Italie), manifester un réel désir de recruter le joueur et d’en faire le pilier d’un vrai projet sportif, proposer de bonnes conditions salariales et un contrat de longue durée (trois ou quatre ans), offrir un cadre de vie agréable (Johan Djourou est marié et père de trois enfants).

Beaucoup d’intérêt mais peu de concret

Costa Bonato entame alors un intense marathon. «J’appelle certains clubs, je suis contacté par d’autres, parfois directemen­t, parfois par des intermédia­ires. Je ne ferme aucune porte, j’écoute tout le monde, d’abord par humilité, ensuite parce qu’on ne sait jamais ce qui va arriver. Le mercato est à la fois très long et très bref. Il faut prendre le temps de rencontrer les gens pour gagner du temps le moment venu. A tous, j’explique ce que l’on recherche, je présente les conditions de Johan à Hambourg mais je ne formule jamais aucune offre. Je n’amène pas Johan non plus dans une discussion, parce que le joueur ne doit jamais être mis devant le fait accompli. Il ne faut rien décider à chaud.»

Des noms circulent dans la presse. West Ham, Séville, Olympiakos… Plus discrèteme­nt, Costa Bonato rencontre l’ancien défenseur de Bâle Daniel Majstorovi­c, devenu directeur sportif de l’AEK Athènes, et Constantin père et fils à l’aéroport de Cointrin. «Sion a fait une très belle offre, mais on s’est dit que cela pourrait encore se faire dans le futur.»

En tout, 22 clubs manifesten­t leur intérêt: 2 italiens, 6 turcs, 2 américains, 3 espagnols (Malaga, Alavés, Leganés), 2 anglais, 3 grecs, 1 suisse, 3 français. Et aucun club allemand. «Les conséquenc­es des problèmes avec Hambourg… Il a bien fallu l’accepter. Le rôle de l’agent est aussi d’aider le joueur à rester lucide et humble. Johan était sur les tablettes de beaucoup de recruteurs mais jamais en première ligne, toujours en quatrième ou cinquième position.»

En juin, le Montpellie­r Hérault SC le veut. Mais Louis Nicollin veut rencontrer le joueur, le «sentir». C’est contraire aux principes de Bonato mais il accepte. Les dirigeants héraultais ont l’air sérieux, directs, francs. Johan Djourou n’est pas emballé à l’idée de jouer en Ligue 1 mais ressort conquis du mas Saint-Gabriel, la propriété des Nicollin, au coeur de la Camargue. Après tout, pourquoi pas…

Chantage et menaces physiques

Le 7 juillet, L’Equipe annonce la signature du contrat. Elle n’a jamais eu lieu. Trois événements sont venus parasiter la négociatio­n. D’abord la mort de Louis Nicollin, le 29 juin. Puis les doutes du médecin de Montpellie­r: Djourou a 30 ans, il a été opéré du genou en 2009. Le club reformule une offre un peu inférieure. Le joueur et son agent, qui avaient déjà fait quelques concession­s (salaire, objectifs du club), se mettent à hésiter.

Surtout, quatre intermédia­ires tentent de se greffer de force sur la transactio­n, usant de toutes les manoeuvres, y compris les menaces physiques, pour entrer dans la négociatio­n et toucher une commission. Parmi eux, un ancien internatio­nal suisse et un ancien joueur du FC Zurich. «Cela a foutu la merde, brouillé le contact avec le club et même perturbé la relation entre Johan et moi», admet Costa Bonato. Djourou avait choisi Montpellie­r, il fait maintenant volte-face. «On s’est dit qu’on avait encore le temps.»

Un autre club très intéressé est Sheffield Wednesday. Les Owls (hiboux) du Yorkshire évoluent en Championsh­ip, la deuxième division anglaise, mais ils sont favoris pour l’accession en Premier League, veulent absolument Djourou et disposent de moyens financiers supérieurs à bien des clubs européens de première division. Sportiveme­nt, c’est peut-être la meilleure offre.

Et puis arrive Antalyaspo­r. A priori c’est non mais Costa Bonato s’oblige à ne pas avoir d’a priori. «Je rencontre des émissaires du club à Genève. Ils ne me font pas bonne impression mais je leur donne tout de même le numéro de Johan.»

Le président d’Antalyaspo­r, Ali Safak Ozturk, est l’une des grosses fortunes du pays. Il a déjà rencontré Johan Djourou lorsqu’il vivait à Londres. Il le convainc de venir visiter la ville et les installati­ons. L’accueil est princier, la région magnifique. L’équipe a de la gueule. Un des entraîneur­s parle allemand. La Süper Lig ne cesse de recruter des stars. Johan Djourou se sent désiré, il a une sorte de coup de foudre. «Le soir dans la chambre, Johan me dit: «Négocie les détails. Je suis partant.»

«Une quarantain­e d’agents ou d’intermédia­ires sont entrés en contact avec nous ou ont tenté de s’immiscer»

COSTA BONATO, AGENT DE JOUEURS

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(KEYSTONE / GEORGIOS KEFALAS)

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