Michel Guérard, ou les fours généreux d’un cuisinier de la minceur
Précurseur de la cuisine minceur, Michel Guérard traverse les modes et les tendances avec son temple thermal, récompensé pour la première fois de la distinction Palace
A 80 ans, il a gardé cet air jovial et innocent de jeune adolescent. Incontournables de la gastronomie française, Michel Guérard et son charme indéfinissable traversent les années. Aux côtés de Paul Bocuse, de Jean et Pierre Troisgros, d’Alain Chapel ou encore de Roger Vergé et sous l’impulsion d’Henri Gault et Christian Millau, il appartient à ces grands instigateurs de la nouvelle cuisine. Ceux qui ont, chacun à leur manière, révolutionné la gastronomie française – et donc mondiale – dans les années 70 en se risquant enfin hors de leur cuisine.
Installé dans le village d’Eugénie-les-Bains, dans les Landes, à une heure au sud de Bordeaux, honoré des trois étoiles du Guide Michelin depuis quatre décennies consécutives, il a toujours été le plus discret cuisinier de cette génération dorée, tout en restant un des plus influents. Précurseur dans le domaine de la diététique et du bien-être, il fit la couverture du Time en 1976 en associant gourmandise, plaisir et légèreté à une époque où la crème et le beurre étaient des passages culinaires obligés.
ENFANT DE LA GUERRE
Au milieu d’un domaine de huit hectares, les Prés d’Eugénie sont un havre de paix, composé de sept maisons dispersées au milieu de roseraies, potagers et prairies, traversé par une petite rivière. Michel Guérard reçoit dans les salons des Dames et du Pacha, dans l’aile construite en 1808, sous le Premier Empire.
Fils de boucher à Pavilly, un petit village normand non loin de Rouen, il connaît la guerre à l’âge de 7 ans. «Vous découvrez la peur et la faim. Quand vous avez la chance d’y échapper, vous trouvez que la vie est formidable.» Enfant de choeur, le jeune Michel se voyait devenir curé. «A cette époque, j’ai vécu une période très forte de ma vie. Je me sentais investi d’une force mystique. Et puis cette phase s’est estompée. J’ai ensuite voulu être médecin ou encore comédien.»
Il quitte les bancs de l’école et entre dans d’autres rangs en tant que pâtissier. Il apprend le métier sucré avant le salé puis, après un passage dans la Marine nationale en tant que cuisinier, trouve une place de chef pâtissier à l’hôtel parisien Le Crillon. Michel Guérard passe le concours de Meilleur Ouvrier de France, découvre l’univers des cuisines du célèbre cabaret Le Lido, du Maxim’s ou encore du restaurant Luca Carton avant d’ouvrir son propre établissement, Le Pot-au-feu. «Je faisais déjà pour l’époque une cuisine avant-gardiste.»
THÉRAPIE ALIMENTAIRE
Sa rencontre avec Christine Barthélémy, propriétaire d’un domaine à Eugénie-les-Bains et héritière de la Chaîne thermale du soleil, va bouleverser sa vie. «Au début, je ne voulais pas quitter Paris, surtout pas pour aller à la campagne. Mais je suis tombé amoureux. Alors je suis quand même allé voir sur place et je me suis dit pourquoi pas?»
Mais comment se faire connaître et attirer du monde dans le sud-ouest de la France au milieu des années 70? «Grâce à mon épouse, j’ai découvert une discipline médicale: le thermalisme. J’ai donc décidé d’utiliser cette voie en y rajoutant une thérapie alimentaire. C’est comme cela que j’ai commencé la cuisine minceur, une cuisine hypocalorique.»
Le succès est immédiat. Tout le monde saura désormais placer Eugénie-les-Bains sur la carte de la gastronomie mondiale. «Je cuisine comme chante l’oiseau: en étant libre, limpide, léger, allègre, aérien, ample, serein, soyeux et suave…» énumère avec humour l’auteur des best-sellers, La Grande Cuisine
minceur et La Grande Cuisine gourmande. La preuve? Son zéphyr de truffe «surprise exquise» comme un nuage sur une délicate vichyssoise, son oreiller moelleux de mousserons et de morilles aux asperges de pays, son homard rôti, légèrement fumé à la cheminée, sont autant de plats de sa cuisine dite «naturaliste». Sans oublier son fameux gâteau mollet du marquis de Béchamel et sa glace fondue à la rhubarbe. On demande au chef sa plus grande émotion gastronomique. «Celle de demain», répond en toute simplicité celui sur qui brillent trois étoiles depuis quarante ans. D’ailleurs, comment Michel Guérard vit-il cette longévité? «Avec modestie et humilité. Je continue à vivre, à rester aux aguets… cela m’oblige à rester jeune.» Que la jeunesse soit éternelle…