Le Temps

Quand Pékin torture les avocats

- FRÉDÉRIC KOLLER JOURNALIST­E

Jiang Tianyong a bien dû finir par avouer. Cet avocat chinois de 46 ans a reconnu tous les crimes dont l’accusait Pékin lors d’une audience du Tribunal de Changsha, au sud du pays, en début de semaine. Il a incité à la subversion de l’Etat, il a menti lorsqu’il accusait la police d’avoir torturé l’un de ses clients (Xie Yang, également avocat), il s’est laissé «influencer par des forces étrangères» pour contester la légitimité du système politique et le parti au pouvoir, a-t-il confessé par écrit. Dans une vidéo aussitôt diffusée par le tribunal sur les réseaux sociaux chinois, Jiang Tianyong demande pardon au parti, promet de ne plus recommence­r et s’engage à devenir un «homme nouveau».

Jiang Tianyong a été arrêté en novembre 2016. Il compte parmi les 300 avocats, activistes ou membres de leur entourage qui ont disparu ou ont été arrêtés durant quelques heures, quelques jours, quelques mois ou des années depuis juillet 2015. Les preuves à charge contre lui mentionnée­s par la presse chinoise font état de 33 000 messages (sur Twitter ou Weibo, son pendant chinois censuré), de 37 000 personnes qui le suivent sur les réseaux sociaux, de 148 interviews avec des médias étrangers dont 70 dans lesquelles il «attaquait le gouverneme­nt». Voilà. Il risque jusqu’à 7 ans de prison. Sa confession le sauvera-t-elle?

A la veille du 19e congrès du Parti communiste chinois, qui devrait se tenir en octobre, Pékin réaffirme par cette mise en scène médiatique le monopole absolu du pouvoir. Car ce procès, comme d’autres qui l’ont précédé, suit un scénario écrit d’avance. Torturés, les défenseurs des droits de l’homme doivent se plier ou ils seront cassés. Peu

Vous devez m’excuser… C’est si dur d’être torturé

importe ce qu’on en pensera à l’étranger. Si même la mort d’un Prix Nobel de la paix en prison – Liu Xiaobo, en juillet dernier – ne soulève pas plus de protestati­ons, le parti peut y aller sans prendre de gants.

Jiang Tianyong, dont la santé est fragile, a craqué, comme beaucoup d’autres, sans doute sous la torture. L’ONG hongkongai­se China Human Rights Lawyers Concern Group, dont la directrice, Kit Chan, est de passage à Genève, a documenté quatorze cas: on ne tabasse plus, mais les privations de sommeil pouvant durer des semaines, l’obligation de rester debout sans bouger entre deux gardes jusqu’à 15 heures par jour, le menottage des poignets et des chevilles rattachés par une chaîne trop courte pour se tenir debout se répétant durant des jours ou la consommati­on forcée de pilules provoquant des douleurs musculaire­s deviennent la norme.

L’avocat, spécialisé dans la défense des minorités religieuse­s et ethniques, avait rencontré il y a un an à Pékin le rapporteur spécial de l’ONU sur l’extrême pauvreté et les droits de l’homme, Philip Alston. Une rencontre de trop, qui n’avait pas été du goût des autorités chinoises. Les proches de Jiang Tianyong pensent que son arrestatio­n en fut le prix à payer. Philip Alston a protesté auprès de Pékin lors de l’annonce de ce procès, début août, huit mois après la disparitio­n de l’avocat. L’ONU, où la Chine compte désormais exercer son influence, et particuliè­rement à Genève, reste le dernier relais pour faire pression sur Pékin, estiment les proches de Jiang Tianyong. Le bras de fer est programmé. La Chine, qui entend bien redéfinir le champ d’applicatio­n des droits de l’homme, ne laissera rien passer.

Peu avant son arrestatio­n, Jiang Tianyong avait averti ses amis: «Si je dis des choses que je ne pense pas quand je suis en prison, vous devez m’excuser… C’est si dur d’être torturé.»n

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