L’impossible M. Maudet
Pierre Maudet croit à l’Etat comme pivot du système consensuel helvétique et gardien de l’Etat de droit. D’où sa volonté de se démarquer en présentant sa propre «Weltanschauung», sa vision du monde. C’est à saluer, mais c’est une erreur. Du moins quand on cherche à devenir le candidat au Conseil fédéral du Parti libéral-radical. Non pas que cela lui enlève toute chance de figurer la semaine prochaine sur le ticket du PLR pour succéder à Didier Burkhalter. Sa désignation serait toutefois en complète contradiction avec l’évolution actuelle des idées libérales et de la société suisse dans son ensemble.
On peut s’en féliciter ou le regretter, mais la pensée néolibérale dominante, particulièrement en Suisse alémanique, se manifeste par des phénomènes que nous expérimentons quotidiennement: l’affirmation de la société civile au détriment du politique, la prépondérance des droits individuels et de la sphère privée face au collectif. Nous vivons dans l’ère de la société des droits personnels devant laquelle le politique s’efface. L’individu peine à s’identifier à la communauté et donc à l’avenir collectif. Dans son essai La Droite et la Gauche, Olivier Meuwly a une formule qui résume assez bien l’évolution de la conception politique du libéralisme actuel: «Pour la droite, le politique se justifie comme un lieu de transaction permanente» entre intérêts publics et privés. Une transaction. Cela laisse peu de place à la «Weltanschauung» de Pierre Maudet, à sa vision d’un Etat régulateur et organisateur de la vie sociale, défenseur de l’intérêt général. En cela, pourtant, le conseiller d’Etat genevois s’inscrit dans la pensée d’un radicalisme populaire, pilier de l’Etat, incarné au XIXe siècle par le Vaudois Henri Druey. Jean-Pascal Delamuraz et Pascal Couchepin pourraient bien en avoir été les derniers représentants au Conseil fédéral.
Au «moins d’Etat» qui caractérise la droite classique s’ajoute désormais une méfiance populaire grandissante envers le politique et la puissance étatique. C’est ce qu’ont illustré les élections en Grande-Bretagne et dans une France marquée par le «dégagisme». Par les réseaux sociaux, l’individu se donne l’illusion de pouvoir se satisfaire de relations interindividuelles et se passer ainsi du politique et de l’Etat. L’image du pouvoir se dégrade de même que les attentes à son égard. Parallèlement, faute de vision commune de son avenir, la Suisse a perdu de sa capacité à organiser et à faire accepter les grandes adaptations sociales, économiques et institutionnelles que nécessite le passage au «nouveau monde», à la société postmoderne, composée d’individus prétendument autonomes.
Dans la NZZ am Sonntag, le chef économiste du Seco, Eric Scheidegger, se lamentait ainsi devant «l’absence de courage à mener de grandes réformes». Hormis la stratégie énergétique, qui s’est arrêtée à mi-chemin, les dernières remontaient à la période ayant suivi le refus d’adhérer à l’EEE en 1992: libre circulation, ouverture du marché, assurance chômage, révision de la Constitution fédérale. Quant à la réforme de la Prévoyance vieillesse, elle concentre à elle seule toutes les tensions entre intérêts privé et général, entre caisses de pension et AVS.
Voilà pourquoi, malgré les espoirs que l’on peut placer dans l’énergie et les idées d’un homme jeune, les chances restent minces que dans un avenir proche Pierre Maudet soit le Macron de la politique fédérale. C’est un regret.
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