Nikita Mikhalkov, pourtant proche du pouvoir, sort du jeu
La récente arrestation du metteur en scène Kirill Serebrennikov a déclenché des réactions en chaîne dans les milieux culturels
Le célèbre réalisateur de cinéma Nikita Mikhalkov a claqué mercredi la porte du Fonds gouvernemental pour le cinéma, dont il était l’un des principaux bénéficiaires. Un accès de colère survenu quelques heures après le placement en résidence surveillée du réalisateur Kirill Serebrennikov, qui scandalise le monde de la culture russe. En apparence, la décision du réalisateur de «Soleil trompeur» et du «Barbier de Sibérie» n’est pas liée aux soucis de son confrère. Monarchiste déclaré et admirateur de Vladimir Poutine, Mikhalkov occupe une position diamétralement opposée à celle de son confrère, coqueluche de la jeunesse progressiste. Le cinéaste justifie son geste par la «russophobie latente» d’une autre membre du Fonds, Natalia Timakova, la porte-parole du premier ministre Dmitri Medvedev.
Un tournant politique
«Sur fond d’affaire Serebrennikov, l’annonce de Mikhalkov sonne comme une parodie: pendant que l’un est enfermé comme terroriste, l’autre quitte le Fonds du cinéma», raille le journaliste d’opposition Oleg Kashin. «Mikhalkov est le meilleur ami de tous les présidents et patriarches, un homme qui, jusqu’à récemment, roulait gyrophare allumé dans une voiture blindée du Ministère de la défense, personnifiant la puissance et la spiritualité… et le voici capitulant devant la modeste porte-parole du modeste premier ministre.»
Si la sortie de Mikhalkov paraît grotesque et malhabile à première vue, la simultanéité avec l’affaire Serebrennikov met la puce à l’oreille. Car la nomination de Timakova remonte à plusieurs mois. «C’est une réaction de Mikhalkov à un tournant dans la politique culturelle du pouvoir, suppute Oleg Kashin. La protection la plus sûre dans ce cas est de sortir du jeu, même au prix d’une perte de poids institutionnel. La logique formulée par l’Etat dans l’affaire Serebrennikov touche tous les acteurs du monde de l’art dépendant des subventions d’Etat. Un conflit avec la porte-parole du premier ministre, réel ou inventé, constitue une bonne excuse. Il permet à Mikhalkov de jouer à la victime de l’Etat alors que ce dernier brise le tabou de l’arrestation des artistes.»
Jusqu’ici, la proximité de l’Etat constituait une protection, tandis qu’aujourd’hui c’est l’inverse. Serebrennikov est attaqué en justice pour «détournement de fonds publics», une menace qui ne pèse pas sur les artistes non subventionnés.
Ce n’est à l’évidence pas la solidarité avec son confrère qui guide Mikhalkov. Hier, il invitait les partisans de Serebrennikov à financer de leur poche sa création. «S’ils ont réussi à rassembler 68 millions de roubles [1,1 million de francs] pour payer la caution de Serebrennikov [proposition de son avocat rejetée par le tribunal mercredi], qu’ils financent sa création sans rien prendre à l’Etat», a déclaré Mikhalkov vendredi à l’agence TASS. «Il ne s’agit pas d’interdire, mais d’admettre que si 85% des contribuables n’aiment pas ce que tu fais, tu te finances avec ton propre argent.» Ce chiffre est une allusion à la cote de popularité de Vladimir Poutine.
Deux trajectoires opposées
Nikita Mikhalkov n’est pas le mieux placé pour donner des leçons. Bien connu des Valaisans pour le tournage de son dernier film «Coup de soleil» (2014) au Bouveret, sur les bords du Léman, Mikhalkov n’est guère prisé du public russe. «Coup de soleil» a surtout été un coup de bambou: le film a coûté la somme record de 24 millions de dollars pour ne rapporter… que 1,7 million.
A l’inverse, Kirill Serebrennikov, au faîte de sa créativité, fait salle comble dans son théâtre, le centre Gogol. Travailleur infatigable menant plusieurs projets de front, il était en train de tourner un biopic consacré à un légendaire chanteur de rock russe au moment de son arrestation. La justice russe a stoppé net son travail, déclenchant la fureur des milieux culturels. Vendredi, le réalisateur Ivan Vyrypaev demandait aux artistes russes de «cesser de soutenir ce pouvoir. Il ne faut pas aller chercher de récompenses officielles ni serrer la main de Poutine […] et ne plus participer à sa campagne présidentielle.» Pour sa réélection en 2012, Vladimir Poutine s’était beaucoup appuyé sur l’autorité morale d’artistes reconnus.
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