«Une défiance profonde et ancrée dans la durée»
Les républicains n’ont jamais été populaires dans l’électorat juif. L’arrivée de Donald Trump à la Maison-Blanche n’a fait qu’élargir le fossé. Interview
MAÎTRE DE CONFÉRENCES À L’UNIVERSITÉ DE VERSAILLES SAINT-QUENTIN «Quand Donald Trump critique les élites, l’establishment et les médias, certains y voient une mise en cause du «lobby juif»
Maître de conférences à l’Université de Versailles Saint-Quentin, Lauric Henneton décrypte les tensions qui agitent la communauté juive américaine. Il est l’auteur d’une Histoire religieuse des Etats-Unis (2012) et publiera prochainement La fin du rêve américain?.
A quel point la polémique autour de Charlottesville et la faible condamnation des suprémacistes blancs par Donald Trump ont-elles accentué le fossé existant entre lui et la majorité des juifs américains? A l’instar des républicains en règle générale, Trump n’a jamais été populaire auprès de l’électorat juif. Seule la fermeté à l’égard des ennemis d’Israël, et notamment de l’Iran, donne un quelconque crédit aux candidats républicains, et c’est globalement insuffisant. Dans le cas présent, la recrudescence d’actes antisémites depuis l’élection de Trump, qui a culminé dans cette timide condamnation des groupuscules néonazis, n’a fait qu’accentuer une défiance aussi profonde qu’ancrée dans la durée.
Donald Trump est parfois taxé d’antisémitisme. Ces accusations sont-elles justifiées? Sa fille Ivanka, dont il est si proche, s’est convertie au judaïsme quand elle a épousé Jared Kushner, l’un de ses principaux conseillers. Par ailleurs, certains de ses ministres sont juifs. Il est donc difficile de voir en Trump un idéologue antisémite. En revanche, on peut lui reprocher d’encourager indirectement les groupuscules antisémites. Quand il critique les élites, l’establishment et les médias, leur grille de lecture y décèle une mise en accusation du «lobby juif». Il est difficile de croire qu’il n’est pas conscient d’alimenter ces croyances. On peut donc l’accuser de jouer avec le feu. Pour lui, ne pas condamner rapidement des actes antisémites est plutôt une façon de conforter une partie de sa base électorale, hostile au politiquement correct, et qui déteste les «antifas» au moins autant que les néonazis. Il sait qu’un côté ne votera jamais pour lui mais il ne peut pas perdre l’autre. Cela dit, une telle stratégie n’est pas forcément payante. Une partie des évangéliques conservateurs lui retire son soutien.
Le «divorce» entre juifs américains et Israël est-il consommé? Benyamin Netanyahou préfère soigner ses relations avec Trump que se soucier de leur sort… Les juifs américains sont eux-mêmes divisés, et il faut leur ajouter les sionistes chrétiens, des fondamentalistes pour qui le sort d’Israël revêt une importance capitale dans la perspective de la fin des temps. Obama et Netanyahou avaient des relations exécrables et l’élection de 2016 était une façon de remettre les pendules à l’heure. L’intransigeance martelée par Trump à l’égard de l’Iran, qui tranche avec la politique d’Obama, présentée comme conciliante notamment par les néoconservateurs, va dans le sens d’une politique pro-Israël. Tout dépend en fait de quelle partie de la communauté juive américaine on parle et de la priorité qu’elle accorde à la politique des EtatsUnis vis-à-vis d’Israël. Ce qui est sûr, c’est que plusieurs confédérations de rabbins de diverses obédiences ont exprimé leur refus d’échanger avec le président en amont des fêtes juives des semaines à venir, ce qui est un signe fort de défiance.
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