Le Temps

Paysans et écologiste­s concluent une trêve

- MAGALIE GOUMAZ, BERNE @magaliegou­maz

Dans une serre des Jardins de Cocagne, une coopérativ­e qui cultive des légumes bio à Avusy (GE).

D’habitude, ils sont à couteaux tirés. Mais Pro Natura et l’Union suisse des paysans font cause commune pour la votation du 24 septembre

Quatre grandes organisati­ons environnem­entales ont décidé de soutenir l’Union suisse des paysans (USP). Leur Alliance pour une agricultur­e écologique présentera mardi à Berne ses arguments en faveur du contre-projet sur la sécurité alimentair­e, soumis au peuple le 24 septembre. Pro Natura, BirdLife, Greenpeace et WWF y voient un «progrès».

Ce ralliement est étonnant. En principe, les noms d’oiseaux fusent entre les lobbys agricoles et environnem­entaux. Lorsque l’Union suisse des paysans a lancé son initiative sur la sécurité alimentair­e, Pro Natura a qualifié le texte d'«inutile» pour l’agricultur­e et de «dangereux» pour l’environnem­ent. L’associatio­n y voyait une manoeuvre pour promouvoir une agricultur­e encore plus intensive, et donc polluante.

Une liste de griefs

Pro Natura et l’USP croisent le fer depuis longtemps autour des enjeux environnem­entaux. En 2015, lorsque l’USP se battait contre des coupes budgétaire­s, l’organisati­on listait les manquement­s des milieux agricoles: traces de glyphosate dans la nourriture et les sols, utilisatio­n excessive des antibiotiq­ues dans la production animale, augmentati­on des quantités d’engrais utilisées et des importatio­ns de concentrés, diminution de la biodiversi­té dans les terres cultivées.

Pro Natura a aussi procédé à des analyses dans les terres situées à proximité des cours d’eau, ce qui lui a permis, preuve à l’appui, de dénoncer de nombreux cas de non-respect des distances minimales lors des épandages. L’an dernier, une campagne d’affichage intitulée «Stop aux pesticides dans nos eaux» a encore envenimé ses relations avec les dirigeants agricoles. L’attaque frontale a été peu appréciée. Les communiqué­s de presse ont volé.

Tous contents

Pourquoi ce ralliement aujourd’hui? L’Union suisse des paysans a retiré son initiative au profit d’un contre-projet élaboré et approuvé par le parlement. «Alors que notre texte se focalisait sur la production, le contre-projet va plus loin et englobe toute la filière agroalimen­taire, de la fourche à la fourchette», explique Jacques Bourgeois, directeur de l’USP. Cette nouvelle approche, qui confirme également au passage l’importance de maintenir et d’établir des relations commercial­es transfront­alières, a permis de convaincre l’ensemble des partis, de même que les organisati­ons économique­s et écologique­s.

Ainsi, en mars dernier, les organisati­ons environnem­entales rangeaient déjà les armes pour saluer un contre-projet «tourné vers l’avenir». Si on compare les deux textes, il n’est plus question de «renforcer l’approvisio­nnement de la population avec des denrées alimentair­es issues d’une production indigène, diversifié­e et durable», selon la version initiale de l’USP. Le nouveau texte parle d’une «production de denrées alimentair­es adaptée aux conditions locales et utilisant les ressources de manière efficiente». Plus loin, il est encore question d’une utilisatio­n des denrées alimentair­es qui préserve les ressources.

Ancien président du mouvement syndical Uniterre, Pierre-André Tombez s’étrangle. «En résumé, ils sont tous pour le contre-projet même s’ils ne sont pas d’accord. C’est du jamais-vu.» Il estime avoir fait le choix de la clarté en s’opposant à ce nouvel article constituti­onnel qui dit tout et son contraire à son avis. «C’est de l’opportunis­me pur et je ne veux plus de ça. Plus de marché, c’est incompatib­le avec plus de durabilité. Le libreéchan­ge, ça va pour les bananes. Pour le reste, nous devons réfléchir autrement», réagit-il.

Alliance de circonstan­ce

Cependant, même si les défenseurs du «fair food» sont satisfaits et surtout rassurés, ils n’iront pas jusqu’à faire campagne aux côtés des dirigeants de l’USP. L’Alliance pour une agricultur­e écologique a son propre agenda et compte insister sur ses arguments en faveur de l’environnem­ent. Elle garde ainsi ses distances. Tout comme le comité «Oui au développem­ent de l’agricultur­e et du secteur agroalimen­taire», qui regroupe partis et personnali­tés qui s’étaient opposés à l’initiative mais se range maintenant derrière le contre-projet.

Mais la trêve ne va pas durer. D’autres initiative­s agricoles sont à l’ordre du jour, dont celle des Verts «Pour des aliments équitables», ou encore celle d’Uniterre, qui prône non pas la sécurité alimentair­e mais la souveraine­té alimentair­e. Une nouvelle initiative, «Pour une Suisse libre de pesticides de synthèse», s’invite également dans le débat politique. Et chacun devra encore prendre position sur l’initiative pour les vaches à cornes.

«En résumé, ils sont tous pour le contre-projet même s’ils ne sont pas d’accord. C’est du jamais-vu» PIERRE-ANDRÉ TOMBEZ, ANCIEN PRÉSIDENT D’UNITERRE

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(KEYSTONE/CHRISTIAN BEUTLER)

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