Le Temps

Une menace persistant­e sur les Alpes

A Bondo, le réchauffem­ent du permafrost et la fonte d’un glacier semblent avoir contribué à provoquer l’écroulemen­t du Piz Cengalo. La communauté scientifiq­ue s’attend à de nouveaux événements dans cette région très surveillée

- XAVIER LAMBIEL, CATHERINE FRAMMERY @XavierLamb­iel, @cframmery

Les Alpes ont rarement connu pareil événement ces derniers siècles. Recherchés par 120 policiers et secouriste­s, huit randonneur­s sont toujours portés disparus. L’espoir de retrouver des survivants s’amenuise. Au total, douze bâtiments ont été endommagés ou détruits, dont cinq dans le village de Bondo, dans le val Bregaglia. Selon la maire de la commune, Anna Giacometti, les sentiers de randonnées avaient été classés «dangereux» dès le 14 août dernier et des panneaux avaient été installés. L’éboulement était attendu.

Ce mercredi vers 9h30, une masse rocheuse d’environ 4 millions de mètres cubes s’est détachée de la paroi du Piz Cengalo. Dans les minutes qui ont suivi l’écroulemen­t, boues, roches et glaces ont formé plusieurs coulées torrentiel­les qui ont envahi Bondo, heureuseme­nt déserté par ses 200 habitants. Un nouvel éboulement s’est produit ce vendredi vers 16h30. A nouveau, des roches ont atteint l’agglomérat­ion, sans faire de blessés. Les habitants qui avaient été autorisés à regagner leur domicile ont à nouveau dû quitter les lieux.

Le Piz Cengalo, site sensible

Situé dans le massif du Bergell, le Piz Cengalo culmine à 3369 mètres d’altitude. L’Office des dangers naturels des Grisons y observe régulièrem­ent des chutes de pierres. Selon le géologue cantonal valaisan Raphaël Mayoraz, «contrairem­ent au schiste, le granit très compact du massif génère des événements rares mais de gros volume». En décembre 2011, 1,5 million de mètres cubes de roches s’étaient écroulés dans une vallée inhabitée. A la suite de cet incident, un système d’alarme a été installé. Il a permis aux pompiers et policiers grisons d’évacuer les habitants de Bondo dans les jours qui ont précédé l’événement de ce mercredi.

Semblable à la dizaine de systèmes installés dans les Alpes suisses, constitué de radars, de lasers et d’appareils optiques parmi lesquels des webcams, le système de surveillan­ce du Piz Cengalo a permis de prévoir l’événement avec une précision rare. Par ailleurs, un dépotoir avait été bâti pour retenir les éventuelle­s laves torrentiel­les crachées par le glacier qui surplombe Bondo. Même s’il a fini par déborder, l’ouvrage a permis de limiter les dégâts matériels.

La Suisse est constellée d’une multitude d’ouvrages de protection destinés à prévenir avalanches, éboulement­s et laves torrentiel­les. Mais pour les scientifiq­ues, l’écroulemen­t du Piz Cengalo était inarrêtabl­e. Filets et digues sont conçus pour des blocs rocheux dont les volumes peuvent aller jusqu’à 20 mètres cubes. Dans le val Bregaglia, l’écroulemen­t a généré des blocs de plusieurs centaines de mètres cubes. Par ailleurs, un million de mètres cubes de roches en mouvement restent accrochés au flanc de la montagne.

Laves torrentiel­les

Entre fortes chaleurs et violents orages, l’été qui s’achève a rapidement dénudé les glaciers, déjà affaiblis par de trop faibles précipitat­ions hivernales. Celui qui se situe au pied de la paroi rocheuse a peut-être joué un rôle déterminan­t dans la cascade d’événements observés ce mercredi. En se retirant progressiv­ement, il a pu déstabilis­er la base du Piz Cengalo. Les blocs qui se sont écroulés sur sa langue ont aussi pu liquéfier ses glaces et aggraver les laves torrentiel­les qui ont déferlé sur Bondo.

Il est sans doute trop tôt pour répondre à ces questions. Selon le géologue Raphaël Mayoraz, «l’influence de la fonte du glacier est encore difficile à évaluer et aucune hypothèse n’a été confirmée pour l’instant». Pour le géomorphol­ogue Christophe Lambiel, de l’Université de Lausanne, «il est fort probable que la dégradatio­n du permafrost dans le massif ait joué un rôle dans le déclenchem­ent de l’événement». Il prévient: «Nous pouvons nous attendre à d’autres éboulement­s dans les jours, semaines ou mois à venir.»

Nouveaux événements attendus

Pour Ludovic Ravanel, spécialist­e de la dynamique des territoire­s de montagne au CNRS, «les montagnes sont des châteaux de cartes». Le géomorphol­ogue insiste: «De nombreux paramètres intervienn­ent dans la stabilité du permafrost.» Les événements importants trouvent souvent leur origine dans une suite de micro-événements et l’éboulement de 2011 a peut-être contribué à déstabilis­er les roches. Par ailleurs, les chaleurs de l’été n’ont pas encore gagné les profondeur­s du massif. Pour lui aussi, «il y aura forcément d’autres événements qui vont suivre!».

Spécialist­e du permafrost à l’Institut WSL pour l’étude de la neige et des avalanches SLF, à Davos, Marcia Phillips observe un réchauffem­ent graduel du permafrost depuis une vingtaine d’années. Elle prévient: «Nous n’avons pas de forages dans le Piz Cengalo. Nous souhaition­s installer des appareils dans la roche, mais le site était à la fois dangereux et trop difficile d’accès.» Selon la scientifiq­ue, qui rappelle que les événements d’importance répondent à de multiples facteurs, «l’écroulemen­t survenu dans les Grisons s’est probableme­nt préparé pendant des milliers d’années.»

Constitué de radars et de lasers, le système de surveillan­ce du Piz Cengalo a permis de prévoir l’événement avec une précision rare

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(KEYSTONE/GIAN EHRENZELLE­R) Une pelleteuse fouille la coulée de boue et de roches qui a atteint le village de Bondo.

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