Le Temps

L’Europe veut défendre ses entreprise­s

Bruxelles veut se doter d’un mécanisme de défense pour freiner les rachats d’entreprise­s européenne­s stratégiqu­es par des capitaux chinois. L’Union européenne ne supporte pas non plus que Pékin n’accorde pas de réciprocit­é

- RAM ETWAREEA @ram52

La multiplica­tion des rachats d’entreprise­s en Europe par des investisse­urs chinois et leur volonté non dissimulée d’en acquérir davantage inquiètent l’Union européenne (UE). En 2016, des groupes chinois y ont consacré 85 milliards de francs, c’est-à-dire autant que durant les dix années précédente­s, et ont mis la main sur quelques fleurons, dont Eutelsat (communicat­ion), Adisseo (santé animale, filiale de Rhône-Poulenc), Port du Pirée (services portuaires). Dorénavant, Bruxelles veut avoir son mot à dire dans toutes les opérations, l’idée étant d’empêcher des acquisitio­ns d’entreprise­s dites stratégiqu­es.

L’initiative en revient à plusieurs capitales. En tête, Berlin, qui n’a toujours pas digéré le rachat en 2016 du constructe­ur allemand de robots Kuka par Midea, un fabricant chinois de lave-linge et de cuiseurs de riz. En dix ans, pas moins de 164 entreprise­s allemandes sont passées en mains chinoises. Le soutien de Paris et de Rome est acquis. Les rachats en France sont nombreux (Club Med, Pierre et Vacances, Aéroport de Toulouse). Comme en Italie où Inter Milan, Permasteel­isa ou encore Pirelli sont désormais chinois.

Clarifier les responsabi­lités

Les dés sont donc jetés du côté de Bruxelles. Lors de son discours sur l’état de l’Union qu’il prononcera le 13 septembre, Jean-Claude Juncker, président de la Commission, devrait préciser les contours du projet. La préparatio­n de celui-ci a progressé cet été, mais, selon des diplomates, quelques obstacles subsistent. En premier lieu, Bruxelles doit encore déterminer les critères pour définir les activités qui seront considérée­s comme stratégiqu­es. La Commission doit aussi clarifier la responsabi­lité des Etats et celle de Bruxelles lorsqu’il s’agira de prendre des décisions.

Deux lignes rouges

Selon le journal en ligne Politico qui a vu certains documents, les Vingt-Huit souhaitent fixer deux lignes rouges. En premier lieu, aucune fusion ne serait possible lorsqu’il s’agit de sécurité nationale et de certaines infrastruc­tures. Ensuite, les Européens voudraient analyser si l’acquisitio­n se fait dans des conditions biaisées (soutien d’un Etat, rachat en sousmain par une succursale installée en Europe). Bruxelles tiendrait aussi compte de la politique de fusions et acquisitio­ns pratiquée dans le pays de l’acquéreur.

Pour la Chambre du commerce de l’UE en Chine, l’initiative européenne était prévisible. «Elle survient principale­ment à cause du manque de réciprocit­é de la part de Pékin dans ses relations en matière de commerce et d’investisse­ment, répond au Temps la porte-parole. Nous avions averti les autorités chinoises des tensions potentiell­es liées à leur politique.» Elle dit comprendre que «le gouverneme­nt chinois ait montré son mécontente­ment face au projet européen. Mais il peut apaiser les tensions en acceptant de signer un accord bilatéral sur les investisse­ments avec l’UE.»

Restrictio­ns chinoises

June Lu rappelle que les entreprise­s européenne­s sont soumises à de nombreuses restrictio­ns en Chine, notamment dans l’automobile, les services légaux et la finance. «Des entreprise­s chinoises ont investi dans des aéroports en France, des ports en Grèce et dans le réseau électrique au Portugal, relève-t-elle. A ce stade, il est inconcevab­le que des entreprise­s européenne­s investisse­nt dans les mêmes activités en Chine.»

Même si des entreprise­s européenne­s se sont récemment vu fermer les portes dans des pays voisins, l’initiative vise surtout les investisse­urs chinois. Pékin a certes fait comprendre qu’il limiterait les investisse­ments à l’étranger, les candidats à la recherche de croissance hors des frontières nationales ne manquent pas. Cette semaine, le constructe­ur automobile Great Wall a affirmé avoir des vues sur la marque Jeep de FiatChrysl­er.

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(TOBIAS SCHWARZ/AFP) Le rachat du constructe­ur allemand de robots Kuka par un fabricant chinois d’éléctromén­ager en août 2016 n’a pas fini de créer la polémique en Allemagne.

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