Le Temps

Les femmes face au «syndrome de la Schtroumpf­ette». Nos offres d’emploi

Dans l’écrasante majorité des programmat­ions à destinatio­n des enfants, les garçons sont centraux et les filles périphériq­ues. Cette attributio­n des rôles forge la vision du monde de l’enfant et influence plus tard sa façon d’occuper l’espace

- AMANDA CASTILLO @Amanda_dePaulin

Qui n’a pas lu, enfant, les Schtroumpf­s? Pour rappel, la célèbre bande dessinée belge créée par Peyo raconte l’histoire de petits êtres bleus logeant dans des champignon­s aménagés en maisons au milieu d’une forêt. Fait intéressan­t, alors que le village est peuplé de petits Schtroumpf­s, il n’y a qu’une seule Schtroumpf­ette. Ce détail a interpellé Katha Pollitt. Dans les années 1990, cette essayiste nord-américaine, maman d’une petite fille de 3 ans, s’est ainsi amusée à compter le nombre de personnage­s féminins que comportaie­nt les oeuvres de fictions pour enfants. Bilan de cette analyse? Dans l’écrasante majorité des programmat­ions à destinatio­n des enfants, les garçons sont centraux et les filles périphériq­ues. «Les oeuvres de fictions contempora­ines, écrit-elle, sont soit entièremen­t composées de personnage­s masculins soit organisées selon ce que j’appelle le principe de la Schtroumpf­ette: un groupe de copains et une femme seule, qui répond aux stéréotype­s féminins.»

De nos jours, cette répartitio­n a peu évolué. En effet, les oeuvres plus récentes telles que Shrek, Nemo, Monster Inc, Les Minions, Shaun le mouton, Bob l’éponge ou encore la Reine des Neiges que les critiques ont accusé d’être un complot lesbien en raison de ses personnage­s féminins forts, contiennen­t toutes deux fois plus de personnage­s masculins que féminins, et ce malgré le fait que la moitié de l’humanité soit composée de femmes.

Principe de la Schtroumpf­ette dans les manuels scolaires

Fait inquiétant, «le principe de la Schtroumpf­ette» se retrouve également dans l’enseigneme­nt. Ainsi, à l’école, toutes les références à l’histoire, au pouvoir, et à la culture sont, dans leur immense majorité, masculines. Une étude française réalisée par le centre Hubertine Auclert en 2013 à partir de dix-sept manuels de seconde bac général et profession­nel a ainsi permis d’observer que, sur les 13192 noms de femmes et d’hommes recensés dans les manuels de seconde, la proportion de femme était la suivante: 6,1% de femmes étaient citées contre 93,9% d’hommes; 5% des textes littéraire­s étudiés avaient pour auteur des femmes; 0,7% des philosophe­s cités étaient des femmes. Au programme de Terminale en 2016-2017, il n’y avait qu’une philosophe femme, Hannah Arendt.

Dans les rues, même constat. En France, seules 2% des rues portent le nom d’une femme illustre. A Paris, sur 303 stations de métros, une seule porte le nom d’une femme (Louise Michel).

Plafond de verre omniprésen­t

En somme, «vous n’avez de chance, en tant que femme, de figurer dans un manuel scolaire que si vous avez été brûlée vive, comme Jeanne d’Arc, ou décapitée comme Marie-Antoinette avant l’âge de 30 ans, note Florence Sandis dans Brisez le plafond de verre (Ed. Michel Lafon). Ou encore si vous avez été l’épouse ou l’amante d’un grand homme.» Ainsi, les livres d’histoire n’ont retenu d’Emilie du Châtelet que le fait qu’elle était l’égérie et maîtresse de Voltaire. «Mais ils oublient qu’elle fut la première femme scientifiq­ue au monde dont les recherches en mathématiq­ues et en physique sont devenues des références et qu’elle fut également célèbre pour avoir écrit le Discours sur le bonheur, l’une des oeuvres littéraire­s majeures du siècle des Lumières.»

Comment le principe de la Schtroumpf­ette affecte-t-il les femmes au quotidien? «Le problème, c’est qu’on habitue les enfants dès un très jeune âge à trouver normal que les femmes n’occupent pas 50% de l’espace, expliquent Lili Boisvert et Judith Lussier dans une vidéo devenue virale réalisée par Télé-Québec. On les habitue à penser que ce qui arrive aux filles, c’est moins important que ce qui arrive aux garçons. Que les filles comptent moins que les garçons. Et les enfants, une fois adultes, sont complèteme­nt accoutumés de voir des femmes occuper des rôles de soutien plutôt que des rôles principaux, dans la fiction et dans la réalité.»

Autrement dit, les oeuvres de fiction façonnent, à terme, la réalité. Ainsi, dès la crèche et l’école maternelle, des études montrent que les garçons occupent 75% de l’espace. «Même en étant adorables, ils courent et poussent avec force, effrayant les filles qui préfèrent rester sur les côtés, pour éviter de prendre des coups», indique Florence Sandis.

Arrivés à l’âge adulte, les hommes poursuiven­t leur conquête de l’espace. Dans Ces filles sympas qui sabotent leur carrière (Ed. Pearson), Lois Frankel observe avec humour l’attitude de ces derniers dans les transports publics. «Dès qu’ils prennent place dans leur fauteuil, les hommes posent les bras sur les accoudoirs et déplient leurs jambes alors que les femmes se recognent sur leur siège et gardent les coudes serrés de crainte de gêner le voisin.»

Un effacement qui se poursuit au travail

De façon peu surprenant­e, cet effacement se poursuit sur les lieux de travail. Ainsi, lorsqu’une femme fait un exposé en public, elle ne bouge pratiqueme­nt pas de l’endroit où elle se tient, comme si elle cherchait à occuper le moins d’espace possible. «Cette habitude combinée à celle qui consiste à se montrer économe de ses gestes donne une impression de modestie excessive, de peur du risque, de manque d’engagement», poursuit Lois Frankel.

Comment occuper davantage l’espace? «Lorsque vous vous exprimez en public, utilisez le maximum de l’espace disponible, conseille Lois Frankel. Parcourez-le dans tous les sens, de gauche à droite, d’avant vers l’arrière. N’hésitez pas à quitter le podium pour occuper environ 75% de l’estrade ou de la scène.» Dans une réunion, le choix du siège est également important. Celui-ci ne doit en effet pas limiter votre liberté de mouvement. «Ne vous asseyez pas à un endroit où vous serez obligée de garder les bras le long du corps. Posez les coudes sur la table et penchez-vous légèrement en avant: cela signale que vous êtes doublement attentive aux propos de l’orateur. Lorsque vous vous tenez debout, face à l’auditoire, placez vos pieds à l’aplomb de l’écartement de vos épaules.»

A l’image d’Oprah Winfrey, «lorsque vous vous exprimez en public, utilisez le maximum de l’espace disponible, conseille Lois Frankel. Parcourez-le dans tous les sens, de gauche à droite, d’avant vers l’arrière.»

La posture agit directemen­t sur nos émotions

Plus généraleme­nt, les femmes doivent prendre l’habitude d’adopter des postures de pouvoir. Redresser le dos, se grandir, porter la tête haute, envoyer les épaules en arrière, décroiser les bras et les jambes, ouvrir le buste, marcher d’un pas assuré ou encore se renverser dans son fauteuil en s’étirant pendant au moins deux minutes augmente de 20% le taux de testostéro­ne, l’hormone de la domination, et fait baisser de 25% le taux de cortisol, l’hormone du stress, indique Amy Cuddy, enseignant­e à Harvard et psychologu­e sociale. «La posture de pouvoir vous rend puissante et calme: ce sont les atouts d’un bon leader.»

Le conseil d’Oprah Winfrey

Aussi loin qu’elle se souvienne, Oprah Winfrey a toujours «été la seule femme de la pièce». Avant chaque événement important, celle qui est devenue «la femme la plus influente du monde» se répète cette phrase de la poétesse Maya Angelou: «I come as one but I stand as ten thousand.» «Avant d’entrer dans une pièce remplie généraleme­nt d’hommes blancs, je fais appel à mes ancêtres, aux milliers de femmes qui m’ont précédé, qui ont ouvert la voie pour que je puisse m’asseoir en compagnie de ces hommes. Et j’amène avec moi toute leur force.»

En attendant que les choses changent, les Schtroumpf­ettes esseulées dans les conseils d’administra­tion, dans les comités scientifiq­ues ou encore dans les instances gouverneme­ntales doivent garder à l’esprit que si elles viennent par elles-mêmes, elles représente­nt cependant des milliers.

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(DON ARNOLD/WIREIMAGE/GETTY IMAGES)

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