Trois visages de Figaro
Trois opéras autour du héros inventé par Beaumarchais: bilan inégal – mais globalement positif – pour «La Trilogie de Figaro» au Grand Théâtre de Genève
Alors, cette Trilogie de Figaro? L’idée est astucieuse, combiner les deux opéras de Rossini et Mozart – Le Barbier de Séville et Les Noces de Figaro – avec un troisième ouvrage, contemporain cette fois-ci, pour prolonger les aventures de Beaumarchais. On peut aller voir les trois opéras en bloc à l’Opéra des Nations, ou les choisir séparément. Un projet lancé par David Pountney à Cardiff et coproduit par le Grand Théâtre à Genève.
Faut-il tout voir? Non. Allez en priorité aux Noces de Figaro et, si le coeur vous en dit, à l’opéra contemporain Figaro Gets a Divorce, au langage musical tout à fait accessible. Le Barbier de Séville est le plus faible des trois spectacles. Le plateau vocal ne tient pas ses promesses, et la mise en scène ne fait pas dans la dentelle! Bien sûr, tout est affaire de goût, et l’on pourra rire aux gags qui émaillent cette production du metteur en scène Sam Brown. Mais à force de vouloir provoquer l’hilarité, on bascule dans un burlesque à gros traits.
Un chien mécanique
Et pourtant, on salue quelques trouvailles, comme la scène du premier acte où le jeune comte Almaviva (Bogdan Mihai à la voix trop fluette) chante sous les fenêtres de Rosine avec l’aide de pancartes que lui brandit Figaro pour ne pas oublier son texte! On sourit aussi à l’arrivée du maître de musique Basilio, campé en malvoyant affublé d’un chien mécanique qui le tire…
Esthétique clownesque
Or la direction d’acteurs est trop sommaire et le spectacle devient lourdingue. Il faut la rouerie d’un Bruno Taddia (Figaro) ou le métier d’un Bruno de Simone (Bartolo, rossinien dans l’esprit) pour donner corps aux personnages. Mais voilà que le premier surjoue et que la comédie clownesque prend le pas sur la comédie de moeurs.
Le chef anglais Jonathan Nott soigne les phrasés dans la fosse et évite le côté «zim-boum» de Rossini. Dommage qu’il manque de contact avec les chanteurs, ôtant son influx électrique à l’oeuvre. Le courant circule mieux entre le chef slovène Marko Letonja – sans être absolument génial – et sa distribution dans Les Noces de Mozart. Par chance, le plateau vocal y est bien meilleur aussi! Et Tobias Richter, que l’on attendait au tournant, se tire très bien de l’exercice de la mise en scène.
Des «Noces» au classicisme heureux
On a ici une lecture très classique qui suit fidèlement le livret. Le barytonbasse Ildebrando D’Arcangelo est phénoménal en comte Almaviva: l’aristocrate jaloux explose dans des colères animales. Son sang ne fait qu’un tour en voyant le jeune Chérubin (très joli timbre d’Avery Amereau) tendre un miroir à ses propres comportements.
On admire la ligne de chant de Nicole Cabell en comtesse et la prestance vocale de Guido Loconsolo en Figaro (malgré des aigus serrés). Regula Mühlemann affiche un très joli timbre aussi, quoique son chant demeure encore un peu sage. Monica Bacelli compose une Marcelline pleine de sel et Balint Szabo (Bartolo) convainc lui aussi.
Quant à Figaro Gets a Divorce, ce nouvel opus d’après La Mère coupable de Beaumarchais et la pièce Figaro lässt sich scheiden d’Ödön von Horvath présente un synopsis bien compliqué. Mieux vaut le lire trois fois avant d’aller au spectacle!
Agent secret cynique à souhait
La compositrice anglo-russe Elena Langer parvient à faire vivre le livret de David Pountney. Si l’on décèle beaucoup d’emprunts dans sa musique (tango, music-hall…), elle brille par son talent d’orchestratrice. Les chatoiements et dissonances évoquent tour à tour Britten, Bernstein et Berg.
La ligne vocale, elle, se veut lyrique, et l’enchaînement des scènes est très serré (malgré la séquence du cabaret qui traîne en longueur). A lui seul, le ténor anglais Alan Oke campe un agent de la police secrète impressionnant de cynisme. Distribution très honorable dans une mise en scène claire et précise.
▅ La Trilogie de Figaro, ODN, jusqu’au 26 septembre. www.geneveopera.ch