Le Temps

Hassan Ismail a appris à négocier avec les shebab de Somalie

«Si j’étais l’Europe ou les Etats-Unis, j’arrêterais de livrer des armes à l’Afrique et au Moyen-Orient. Car pour toute livraison d’armes, ils recevront autant de réfugiés» Avec sa famille, enfant, il a été constammen­t déplacé en raison de disputes claniq

- STÉPHANE BUSSARD @BussardS

Dans le langage bureaucrat­ique onusien, on les appelle des «IDP», des personnes déplacées internes. Hassan Ismail a vécu dans sa chair les tribulatio­ns de ces gens malmenés par les conflits. Lorsqu'il avait 4 ans, sa famille appartenan­t au clan des Garre et installée dans le comté de Mandera coincé entre la Somalie, le sud de l'Ethiopie et le Kenya, a été chassée par un autre clan vers la ville d'El Wak. En tant qu'adolescent, il vécut un nouvel épisode tout aussi traumatisa­nt, voyant deux de ses huit frères et soeurs ainsi que sa mère se faire battre devant lui. Son père perdit tout son cheptel de dromadaire­s. Après plusieurs déplacemen­ts, la famille finit par s'installer dans la ville d'Arabia, dans cette même portion de territoire kényan peuplée de quelque 1,1 million d'habitants et principale­ment de quatre clans d'origine somalienne, les Garre, les Murulle, les Dedodia et les Corner Tribes. Jeudi, il est venu au Palais des Nations parler de son expérience lors des Geneva Peace Talks. Son parcours de vie aurait pu le mener à commettre des actes de vengeance. Il l'a au contraire converti en faiseur de paix.

«J’ai appris à survivre»

Hassan Ismail, 46 ans, petite moustache et barbe discrète, s'est battu dès son plus jeune âge pour poursuivre son éducation scolaire, vendant tantôt des fruits tantôt des cigarettes dans la rue pour se payer l'école. «J'ai appris à survivre. Et j'ai pu compléter le lycée avant de suivre une formation d'enseignant de physique et de chimie.» Il pratique son métier pendant dix ans. Puis il se porte volontaire à la Croix-Rouge kényane avant de s'y engager à plein temps. Une forte sécheresse ravage la région. «Je me suis rendu dans la ville d'Arabia pour apporter de l'aide. J'y ai rencontré le leader de la milice clanique qui pilla et chassa ma famille. On a déjeuné ensemble. Je lui ai demandé s'il se souvenait d'un vieil homme, mon père. Il pensait que j'allais me venger. Je voulais simplement connaître ses motivation­s, pourquoi il avait agi ainsi envers ma famille. J'ai fini par lui donner une petite aide financière», raconte Hassan Ismail.

Parlant le swahili, l'anglais, l'oromo, deux dialectes somaliens et un peu d'arabe, Hassan Ismail a fait de son enfance difficile un atout. Fils d'un musulman mort à la Mecque en plein hadj alors qu'il l'accompagna­it, il a, en 2011, choisi d'aller travailler en Somalie frappée par une terrible famine. Mais des portions entières de territoire­s près de Hiiraan sont contrôlées par les islamistes shebab. Aucun accès humanitair­e n'est possible. Les internatio­naux estiment urgent de déplacer ces gens menacés par la faim vers les villes de Mogadiscio ou de Dolow. «Je ne pouvais pas accepter une telle option, se souvient Hassan. Socialemen­t, déplacer des gens est une catastroph­e. Je l'ai vécu. On pousse les gens à tout quitter. C'est une manière de perpétuer une crise humanitair­e. Pour moi, il fallait aider les gens là où ils habitent.» Hassan Ismail négocie avec plusieurs shebab. Il obtient un accès limité. Mais à certaines conditions: pas d'agents du Programme alimentair­e mondial, pas d'étrangers, pas d'Arabes. Seulement des Africains. Il pose ses conditions: choix de décider librement à qui va l'aide humanitair­e. Il s'entend avec les shebab sur un autre point: pas de livraison de nourriture dont la date de consommati­on a expiré. De nombreuses vies sont ainsi sauvées.

Fort d'un master en résolution de conflit, ce père de neuf enfants quitte l'humanitair­e. En 2014, il se lance dans un vaste programme de consolidat­ion de la paix dans la région de Mandera pour l'ONG Interpeace en coopératio­n avec la Commission kényane de cohésion et d'intégratio­n. Son approche, il

la résume par une image: une pièce de monnaie a un côté pile, un côté face. Or il ne faut pas oublier la tranche qui relie les deux faces. Pour Hassan, résoudre des conflits, c'est embrasser la complexité des êtres au-delà de l'uniforme, de l'appartenan­ce. Il y a, dit-il, davantage de points communs entre les êtres humains que de différence­s: «Dans tout conflit, il y a toujours des personnes-ressources capables de rétablir des ponts.» Dans le Mandera, il recourt aux vieux sages (elders) de la communauté et aux milieux économique­s. Il identifie les racines des conflits. Les clans se disputent depuis des décennies. Les frustratio­ns s'accumulent. Le gros problème, c'est l'absence totale de confiance entre les forces de sécurité et la population locale. Un problème qui remonte à la guerre de sécession de 1963, où des factions voulaient rallier la Somalie. Hassan Ismail se met à table avec les forces de sécurité. «Ce fut très difficile au départ», admet-il. Mais les choses avancent.

Sanctions inefficace­s

Arrivé à Genève mercredi, Hassan Ismail fait d'emblée de l'humour: «J'ai reçu un visa de la Suisse jusqu'à vendredi seulement. Ont-ils peur que je sois un réfugié?», ironise-t-il. Dans son refus du manichéism­e, il émet quelques suggestion­s aux Occidentau­x, notamment après les déclaratio­ns belliqueus­es du président Donald Trump à l'ONU laissant entendre qu'il pourrait détruire totalement la Corée du Nord. «Si j'étais l'Europe ou les Etats-Unis, j'arrêterais de livrer des armes à l'Afrique et au MoyenOrien­t. Car pour toute livraison d'armes, ils recevront autant de réfugiés. Et je ne refuserais jamais le dialogue.» Quant à la pratique des sanctions, elles ne «sont pas une méthode efficace pour restaurer la paix. Elles ne touchent que les population­s, non les dirigeants.»

 ??  ??
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland