Divorce au sommet du Front national
Le vice-président du FN, Florian Philippot, quitte sa fonction. C’est l’épilogue d’une longue querelle avec la présidente, Marine Le Pen, mais aussi avec les instances subalternes du parti et avec les militants. Florian Philippot est en effet l’un des artisans de la dédiabolisation de la formation, que les cadres historiques du parti voient comme une raison de la défaite du FN à la présidentielle.
Le vice-président du parti d’extrême droite français a fini jeudi par annoncer son départ. L’épilogue d’une lutte sans merci à la tête du parti présidé par Marine Le Pen et déstabilisé par l’élection présidentielle
Ils n'échangeaient plus que par de virulents textos. Entre Florian Philippot, 36 ans, et Marine Le Pen, 49 ans, le second tour des présidentielles françaises aura été fatal. D'un côté, un stratège furieux que «sa» candidate gaspille son capital politique lors de son naufrage télévisé du 3 mai, face à Emmanuel Macron. De l'autre, une patronne du Front national (FN) convaincue par son entourage que l'extrême droite s'est fourvoyée en adoptant le discours des souverainistes de gauche: anti-euro, étatiste et tolérant sur le plan des moeurs. «Philippot incarnait la dédiabolisation du FN, que la plupart des cadres haut placés du parti ont très mal vécu, explique le politologue Pascal Perrineau. Pour eux, qui ont été formés en politique par Jean-Marie Le Pen, le Front reste un parti à part, anti-élites, populiste, bleu-blanc-rouge.»
Un tandem fragile
L'itinéraire des deux dirigeants était, depuis l'entrée de Florian Philippot au FN en 2011 (l'année où Marine Le Pen remplace son père à la présidence du parti), un résumé de ce grand écart. Lui, fils de directeur d'école, passé par l'ENA, obsédé par les frontières, maître en tactique, prisé des cénacles parisiens où son homosexualité (révélée en 2014 par le magazine Closer) ne le pénalise pas. Elle, fille cadette du «patriarche» Jean-Marie Le Pen (90 ans en juin 2018), avocate, fêtarde repentie et fidèle à ses vieux compagnons «identitaires». Lorsqu'ils décident, voici six ans, de travailler ensemble, le calcul est avant tout politique. Marine, peu portée sur les dossiers, mais charismatique et capable d'arpenter aussi bien la banlieue que les dîners chics, cherche un chef d'état-major. Florian, venu des rangs des souverainistes de gauche de Jean-Pierre Chevènement (pour lequel il milita lors de la présidentielle de 2002), comprend que les partis traditionnels sont épuisés et que l'Union européenne est une ligne de fracture durable. Tandem victorieux. En 2012, Marine Le Pen recueille au premier tour près de 18%, plus que son père au second tour de 2002 (17,7%) face à Chirac.
Le reste de l'histoire est digne d'une série télévisée. Devenu vice-président du FN, qu'il positionne comme le parti anti-européen, anti-euro et anti-système, Florian Philippot écarte tous ceux qui, en interne, contestent sa ligne, en s'appuyant pour cela sur les succès électoraux du parti aux municipales de mars 2014 (plus de 1500 élus, dix villes moyennes conquises), puis aux européennes de juin (24 députés européens, le plus gros contingent d'élus français). L'homme, abonné aux plateaux TV, flingue à tout-va. Sa conviction est que le FN peut s'engouffrer dans la brèche du référendum de 2005, qui avait rejeté le projet de Constitution européenne.
La colère du «menhir»
«Philippot a très tôt fait ses calculs, complète Pascal Perrineau. Il table sur la colère des classes populaires, anti-mondialisation. Il impose des candidats plus professionnels. Il calibre son discours: libéral sur le plan des moeurs, étatiste sur le plan économique.» Jean-Marie Le Pen en fait les frais. En mai 2015, le «menhir» ironise de nouveau sur la Shoah. Il moque les penchants sexuels de Florian Philippot. Il juge sa fille Marine «sous influence». L'ex-parachutiste, ex-député populiste dans les années 50, mais aussi ex-entrepreneur et proche de certaines grosses fortunes françaises, redoute un nouveau «Brutus», tel Bruno Mégret, parti du FN en 1998. Bien vu: le fondateur du Front se retrouve exclu de son propre parti. Philippot jubile. Lourde erreur.
«Philippot n’avait qu’une légitimité: sa capacité à faire gagner le parti. Dès qu’il perd, tout s’écroule»
UNE ÉLUE FRONTISTE
«L'appareil s'est vengé. Les proches du clan Le Pen se sont sentis ciblés», poursuit Pascal Perrineau. Or la présidentielle va permettre le règlement de comptes. Marine Le Pen explose les compteurs de voix (34% des suffrages le 7 mai, soit plus de dix millions d'électeurs), mais elle est sèchement battue, après avoir été ridiculisée, sur l'Europe, lors du débat télévisé. Amère défaite: «Philippot n'avait qu'une légitimité: sa capacité à faire gagner le parti. Dès qu'il perd, tout s'écroule», concède une élue frontiste. L'intéressé l'a senti. Il fonde Les Patriotes, une association qui irrite au FN. Il rassemble les siens, dont la députée européenne Sophie Montel, élue de FrancheComté (démissionnaire jeudi aussi). La «médiocrité» des cadres du FN devient son refrain. Son père et son frère, tous deux entrés au Front, prennent leurs distances.
Un fossé devenu précipice
Les rancoeurs remontent. La jeune nièce de Marine, Marion Maréchal Le Pen, très catholique et pro-entreprises, fulmine. Le fossé s'installe. Pour devenir précipice. «Philippot a compris qu'il ne sortirait pas vivant politiquement du Front. Il va maintenant chercher à organiser l'espace du souverainisme», conclut Pascal Perrineau. Le FN, lui, tiendra son congrès en mars et pourrait changer de nom. Avec le clan Le Pen à sa tête.
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