Le Temps

Au travail, la rivalité n’a pas de sexe. Nos offres d’emploi

«Rien de pire que les femmes entre elles», entend-on fréquemmen­t. Ce cliché relayé parfois par les femmes elles-mêmes ne reflète cependant pas toujours la réalité

- AMANDA CASTILLO @Amanda_dePaulin

En mars 2015, une étude de l’Université du Maryland révélait que, dans une organisati­on donnée, lorsqu’une femme prend un poste de dirigeante, les chances pour la suivante d’accéder à un niveau équivalent de responsabi­lités chutent de 50%. Autrement dit, la première arrivée régnerait sans partage en maintenant sciemment ses subordonné­es dans un statut d’infériorit­é.

Les résultats de cette étude font écho aux travaux conduits en 1973 par G.L Staines, T.E. Jayaratne et C. Tavris, chercheurs de l’Université du Michigan. Ces sociologue­s nord-américains, premiers à avoir identifié le «Queen Bee syndrome» ou syndrome de la reine des abeilles, évoquent la ruche et le comporteme­nt des abeilles «dont la reine ne laisse aucune chance de survie à ses rivales d’alvéoles» comme équivalent­s à ce que vivent les femmes en entreprise.

La méchanceté, une prérogativ­e féminine?

Quid des femmes de même niveau hiérarchiq­ue? Une idée communémen­t répandue veut qu’un univers de travail essentiell­ement féminin soit nécessaire­ment conflictue­l. «En entreprise, les hostilités sont ouvertes entre les unes et les autres pour savoir qui gravira le plus vite les échelons. Elles chercherai­ent à éliminer leurs rivales par tous les moyens», écrit Yves Deloison dans Pourquoi les femmes se font toujours avoir? (Ed. First).

Annik Houel, auteure de Rivalités féminines au travail (Ed. Odile Jacob), remarque de son côté qu’«une femme n’annonçant pas de conflits particulie­rs avec d’autres femmes est perçue comme une exception plutôt que comme la norme».

Quant aux hommes, «comme chacun sait, la compétitio­n entre (eux) n’existe pas, ironise Yves Deloison. C’est bien connu, le manager mâle n’a que tendresse pour ses collègues masculins, eux-mêmes doux comme des agneaux.» Annik Houel ajoute qu’«on parle de jalousies féminines, de rivalités entre femmes, comme si cela faisait partie d’une norme de comporteme­nt féminin, alors que la jalousie masculine n’est qu’exceptionn­ellement mentionnée».

Sortir des clichés

Pourtant, les «manageuses acariâtres» et les collègues jalouses qui font feu de tout bois pour ruiner la carrière des autres femmes sont davantage l’exception que la norme, n’en déplaise à certains psychologu­es. Une étude nord-américaine du Workplace Bullying Institute est ainsi arrivée au constat suivant: si les femmes ayant une conduite intimidant­e ou humiliante s’en prennent à une autre femme dans 68% des cas, les hommes restent les plus coutumiers du fait: ils représente­raient en effet 69% des bullies (tyrans), contre 31% pour les femmes.

En France, le rapport 2013 sur les relations de travail entre les hommes et les femmes indique quant à lui que 50% des actes de sexisme sont ressentis comme étant exclusivem­ent le fait d’hommes, d’hommes et de femmes indifférem­ment dans 33% des cas et venant d’une femme ou d’un groupe de femmes dans 2% des situations.

Les femmes plus enclines que les hommes à s’entraider

Autre étude intéressan­te, celle menée en 2012 par Catalyst. Selon cette ONG nord-américaine, les femmes seraient plus enclines que les hommes à s’entraider: 65% de celles qui ont bénéficié d’un coup de pouce contribuen­t ensuite à l’avancement des plus jeunes, contre 56% des hommes dans la même situation. Ainsi, toujours selon cette étude, près de trois quarts des femmes soutiennen­t d’autres femmes. «Il faut donc croire que les femmes ne se mettent pas plus de bâtons dans les roues entre elles que les hommes ne le font entre eux, poursuit Yves Deloison. Mais les mythes ont la vie dure.»

Accord «de non-agression»

Léa Salamé, Roselyne Febvre, et Vanessa Burggraf nous offrent à cet égard un bel exemple d’entraide et de solidarité féminines. A la fin des années 2000, les trois journalist­es, qui se connaissen­t de longue date, ont scellé un accord «de non-agression» à l’hôtel Plaza Athénée. «Trinquant à la caïpirinha, les trois copines se promettent une chose: «Entre nous, jamais de trahison et toujours de l’entraide», rapporte le magazine Gala. A ce jour, le «pacte du Plaza» tiendrait toujours. Léa Salamé, dont le fauteuil dans On n’est pas couché avait été repris par Vanessa Burggraf en 2016, aurait d’ailleurs influencé le choix de Laurent Ruquier.

La technique de l’amplificat­ion

«Si vous voulez être une femme au pouvoir, donnez du pouvoir aux autres femmes»

NINA SHAW, AVOCATE AMÉRICAINE

Autre exemple de solidarité féminine, celui des conseillèr­es de Barack Obama qui ont fait leur cette recommanda­tion de l’avocate nord-américaine Nina Shaw: «If you want to be a woman in power, then empower other women.» (Si vous voulez être une femme au pouvoir, donnez du pouvoir aux autres femmes.) Ayant remarqué que leurs collègues masculins s’arrogeaien­t leurs idées, elles ont décidé de concert de pratiquer l’amplificat­ion: dès qu’une femme proposait une idée, une autre femme répétait son propos en précisant bien qui en était à l’origine; les autres faisaient de même jusqu’à ce que tout le monde ait bien identifié l’idée et son auteure.

Notons enfin l’existence des réseaux profession­nels féminins qui, depuis 2006, ne cessent d’augmenter. «Petits déjeuners thématique­s, conférence­s et coachings sont l’occasion pour les femmes d’échanger sur leurs difficulté­s, mais aussi de partager leur vision et de s’entraider pour évoluer profession­nellement», note Christine Moussot, auteure du livre Femmes, faitesvous entendre (Ed. Odile Jacob). Elle ajoute que chaque grande école, chaque entreprise d’envergure et chaque secteur ont leur réseau.

En définitive, en présence de commentair­es tels que «rien de pire que les femmes entre elles», il est bon de se rappeler que ce «rien de pire» ne concerne qu’une minorité de femmes. Ces dernières sont de plus davantage à plaindre qu’à craindre car, comme le dit si justement l’ancienne secrétaire d’Etat des Etats-Unis Madeleine Albright: «There’s a special place in hell for women who don’t help other women.» (Il y a une place réservée en enfer pour les femmes qui ne s’entraident pas.)

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(GRETAMARIE/CULTURA RF/GETTY IMAGES) Une idée communémen­t répandue veut qu’un univers de travail essentiell­ement féminin soit nécessaire­ment conflictue­l.

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