Le Temps

Genève se rêve en ville de photograph­ie

Sous l’impulsion de Sami Kanaan, des projets d’envergure voient le jour. La volonté affichée est de faire aussi bien que Vevey, mais différemme­nt

- CAROLINE STEVAN @CarolineSt­evan

«No’Photo». Le titre sonne comme une boutade. Parce que le dernier-né des événements genevois en matière d’images entend plutôt proclamer «Nos photos». Depuis son élection comme conseiller administra­tif chargé de la Culture et du Sport, Sami Kanaan s’est en effet donné pour objectif de valoriser le patrimoine photograph­ique local. Le 14 octobre, la première nuit de la photograph­ie fera la part belle aux talents et aux collection­s abrités par la Cité de Calvin.

La manifestat­ion est un instrument supplément­aire dans la stratégie du magistrat, qui a fondé en 2012 un groupe de travail consacré à la question. «J’ai été fasciné en découvrant le nombre de collection­s déposées à Genève, entre le Centre iconograph­ique, les musées comme le CICR, la Fondation Auer… Ajoutez à cela tous les photograph­es actifs et doués. C’est comme les pièces magnifique­s d’un puzzle qu’il s’agit de reconstitu­er car il n’y a eu aucune stratégie concertée jusque-là», regrette Sami Kanaan. C’est que la photograph­ie, à Genève comme ailleurs, souffre d’une reconnaiss­ance tardive. «Elle a longtemps été considérée comme un art mineur et pourvue d’un budget bien plus faible que la danse, le théâtre ou les arts plastiques. Nous essayons de rétablir un peu la situation», assure le politicien.

Sujets fédérateur­s

En 2016, la Ville a lancé une enquête et une bourse photograph­ique. L’enquête, dotée de 40 000 francs, charge un photograph­e de documenter une thématique, dans la lignée des mandats du Fonds pour la photograph­ie il y a vingt ans. Elisa Larvego livre la première série sur les pratiques sportives à Genève, exposée au parc des Bastions dès le 5 octobre. David Wagnières travaille à la deuxième. La bourse de 25 000 francs, elle, a été remise à Yann Haeberlin pour le projet documentai­re de son choix.

L’autre volet d’action est l’organisati­on d’exposition­s. En 2016, le Musée Rath présentait des images émanant d’une quinzaine d’institutio­ns, du Musée d’ethnograph­ie au Fonds municipal d’art contempora­in en passant par le Jardin botanique. Et, régulièrem­ent, les panneaux installés dehors accueillen­t des photograph­ies. «Le grand public ici n’a pas une véritable connaissan­ce de l’image. Il est important de lui amener une culture photograph­ique avec des sujets fédérateur­s, pour qu’il puisse aller ensuite vers des exposition­s plus pointues comme celles du Centre de la photograph­ie de Genève (CPG)», souligne le galeriste Jörg Brockmann.

Evidemment, le modèle de «Vevey, ville d’images» s’impose. Le concept a été lancé en 1998 pour contrer la sinistrose industriel­le, à partir de quelques atouts tels que le Musée suisse de l’appareil photograph­ique ou l’école de photograph­ie. Près de deux décennies plus tard, le festival Images attire quelque 100000 visiteurs par édition. «Ils ont réussi à intéresser le grand public grâce à leurs tirages en grand format. C’est un exemple tentant mais nous ne pouvons pas juste les copier; nous devons trouver comment être complément­aires», estime Sami Kanaan. La stratégie globale, cependant, est la même: adopter une politique volontaris­te pour fédérer les différents acteurs et faire fructifier le patrimoine existant.

«Genève était bien partie dans les années 80, avant même Lausanne, puisque nous avions la galerie Canon, l’une des premières de Suisse, le Centre de la photograph­ie, le Fonds pour la photograph­ie, le Centre pour l’image contempora­ine de Saint-Gervais…» énumère Nicolas Schaetti, responsabl­e du Centre iconograph­ique de Genève et membre du groupe de travail. «Puis tout cela s’est étiolé pour des raisons humaines. L’idée est de relancer en tenant compte de ce qui a émergé entre-temps, à Lausanne, Vevey ou Winterthou­r.»

La singularit­é passe par un accent fort sur la photograph­ie documentai­re. «Genève, ville internatio­nale et multicultu­relle, est une matière inépuisabl­e», argue Sami Kanaan. «Nous avons choisi de privilégie­r la photograph­ie documentai­re avec un regard d’auteur car nous avons constaté que ce type d’images passait entre les gouttes de la valorisati­on, éclaire Nicolas Schaetti. Or Genève est très bien représenté­e dans ce domaine par des photograph­es tels que Christian Lutz ou Niels Ackermann.» «Nous avons besoin de ces enveloppes pour nous aider à produire des travaux, mais également d’un soutien pour exposer ou éditer», confirme Christian Lutz.

Budget limité

Autre levier, la possibilit­é d’un lieu dédié pour présenter les collection­s existantes et produire de nouvelles exposition­s. Pour l’heure, il existe dans le grand Genève la Fondation Auer, écrin d’une formidable collection privée, quelques galeries comme les espaces JB ou Cyril Kobler et le CPG, à la programmat­ion extrêmemen­t pointue. «Nous avons écarté dans un premier temps l’idée de créer un lieu car cela représente un investisse­ment énorme, et à 60 km de Lausanne, ce n’est pas raisonnabl­e», admet Nicolas Schaetti. Par Lausanne, entendez Musée de l’Elysée, l’autre locomotive. «Nous ne voulons pas donner l’impression de vouloir concurrenc­er qui que ce soit, et surtout pas l’Elysée, institutio­n avec laquelle nous collaboron­s», appuie Sami Kanaan. Dans l’attente d’une «opportunit­é», la création d’un centre permettrai­t d’asseoir la politique actuelle. «Nous devons absolument pérenniser notre soutien à la photograph­ie, il ne peut tenir à la seule volonté d’un magistrat», estime Mayte Garcia Julliard, assistante conservatr­ice au Musée d’art et d’histoire et membre du groupe de travail. D’autant que le budget est limité. «Mettre davantage de moyens à dispositio­n de la photograph­ie est une bonne chose, mais je constate que, par rapport à l’ampleur prise par le CPG, la Ville ne suit pas. Notre subvention est de 270000 francs et nous devons chercher au moins le double chaque année», note Joerg Bader, son directeur. Les appétits, eux, sont immenses.

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(THIERRY PAREL) Les photograph­ies de Paolo Woods s’exposent jusqu’au 1er octobre prochain dans le parc des Bastions, à Genève.

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