Un nouveau ministre de l’extérieur pour convaincre à l’intérieur
Peu importe qui sera le nouveau locataire du DFAE, il aura pour tâche principale d’expliquer la nécessité de dynamiser la voie bilatérale avec l’UE. En parallèle, la négociation évolue de manière significative, a appris «Le Temps»
Nul n'est prophète en son pays. Didier Burkhalter, qui aime tant les proverbes, a dû y songer plusieurs fois ces dernières heures. Alors que le conseiller fédéral sortant profitait de sa présence à l'Assemblée générale de l'ONU à New York mardi pour prendre congé des grands noms de la diplomatie internationale – le Russe Sergueï Lavrov, l'Iranien Mohammad Javad Zarif –, il avait droit mercredi, dans la Berne fédérale, à un hommage de départ très convenu. Le Neuchâtelois, si actif pour faire germer la paix à travers le monde, n'aura finalement pas réussi à expliquer au pays son grand projet, lancé audacieusement en 2013, celui de rénover la voie bilatérale, soit le bouquet de multiples accords qui lie la Suisse à l'Union européenne (UE).
Il reviendra à son successeur de prendre son bâton de pèlerin. Il s'agira sans doute du nouvel élu, Ignazio Cassis – le Conseil fédéral en décidera lors de la répartition des départements ce vendredi. Peu importe finalement: le profil du parcours qui attend le chef du DFAE est déjà tout tracé. «Il nous faut un ministre des Affaires étrangères qui soit un ministre de l'Intérieur!» s'exclame un haut fonctionnaire proche du gouvernement. Un cri du coeur, pour dire que face à Christoph Blocher et sa campagne permanente contre une «adhésion rampante» à l'Union européenne menée depuis 2014, le Conseil fédéral a perdu du terrain. Le futur ministre des Affaires étrangères devra ainsi aller expliquer dans tous les coins du pays et à chaque occasion la nécessité de conclure un accord institutionnel avec l'Union européenne.
La stratégie définie… sans le nouvel élu
La présidente de la Confédération, Doris Leuthard, le disait au Temps au début du mois: «Lorsque la meilleure procédure aura été définie, elle devra être expliquée. La communication dans ce dossier sera très importante. Il y a un énorme travail de conviction à faire. Surtout, il sera alors temps de souligner l'importance d'un tel accord pour la Suisse, qui ne peut être réduit à la simple question du règlement des différends.» Pour définir «la meilleure procédure», comme le dit Doris Leuthard, le Conseil fédéral n'attendra pas qu'Ignazio Cassis ait rejoint ses rangs. Il tiendra une séance spéciale consacrée à la politique européenne avant la fin du mois. Cette séance doit notamment préparer la visite du président de la Com- mission européenne, Jean-Claude Juncker, en Suisse, prévue en novembre.
Selon nos informations, les lignes de la négociation ont évolué ces derniers mois. Et sur un point central, celui de l'interprétation du droit. Concrètement, les négociateurs suisses tentent de convaincre leurs interlocuteurs européens de faire une distinction entre le droit européen et le droit «bilatéral», qui a trait spécifiquement aux relations entre la Suisse et l'UE. Pour le premier, la Cour de justice de l'Union européenne serait pleinement compétente – c'est sa juridiction. Mais pour le second, elle ne pourrait formuler qu'une simple interprétation. En cas de conflits, il reviendrait au comité mixte Suisse-UE de trouver une entente. En l'absence d'une solution consensuelle, une partie pourrait fixer des pénalités à l'encontre de l'autre. Un tribunal arbinouveau tral – sur la base de mécanismes qui existent déjà dans les accords commerciaux – se prononcerait sur la proportionnalité de ces pénalités.
L'évolution est significative face à l'argument de l'UDC, qui craint la perte d'indépendance de la Suisse et l'emprise des «juges étrangers» de Luxembourg: il s'agirait de donner le moins de prise possible aux jugements européens et de privilégier les solutions politiques au sein du comité mixte. Reste encore à s'entendre sur ce qui fait partie du droit européen et ce qui ressort du droit «bilatéral». Les discussions se poursuivent dans deux autres grands chapitres de la négociation: les aides étatiques et les lignes rouges que s'est fixées la Suisse, notamment le respect des mesures d'accompagnement et la non-reprise de la directive sur la citoyenneté européenne.
Autant dire qu'Ignazio Cassis, qui souhaite faire prendre un «nouveau départ» au dossier institutionnel, devra peut-être maîtriser ses illusions s'il accède au DFAE. Au-delà des aspects de vocabulaire que le Tessinois met en avant – il préfère le terme «règlement» à celui d'accord-cadre –, il intégrera un collège qui parle depuis des mois de la meilleure stratégie à adopter. Et qui a au surplus confié à une délégation gouvernementale, un trio composé de Simonetta Sommaruga, de Johann Schneider-Ammann et du locataire du DFAE, la préparation des affaires liées au dossier européen.
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Les lignes de la négociation ont évolué ces derniers mois. Et sur un point central, celui de l’interprétation du droit