Le Temps

«L’italianità» de retour au Conseil fédéral

- MARIE-HÉLÈNE MIAUTON mh.miauton@bluewin.ch

Bien sûr, il n’y avait guère de suspens et la nuit des longs couteaux, invention de journalist­es, avait plus servi à partager des verres au bar du Bellevue qu’à comploter des stratégies fumeuses. Bien sûr, le PLR avait offert un bon choix de candidats mais c’était toutefois le tour du Tessin. Bien sûr, Pierre Maudet avait l’étoffe d’un conseiller fédéral jeune et valeureux, mais ce n’était pas son heure. Bien sûr, Isabelle Moret était la femme idéale pour compléter la délégation féminine à l’exécutif national, mais un autre Vaudois lui avait brûlé la politesse deux ans auparavant… Un non-événement, diront certains, mais un très beau moment de politique suisse, un de ceux qui enchantent les citoyens et qui raffermiss­ent la cohésion nationale.

Tout ce qui devait être dit le fut. Le discours d’adieu de Didier Burkhalter fut à l’image du personnage: irréprocha­ble de dignité, il a confirmé sa stature d’homme d’Etat et non pas de souris grise comme cela lui fut hâtivement reproché. D’ailleurs, il a terminé sa carrière comme Conseiller fédéral préféré des Suisses ce qui, de mémoire de sondage, n’était jamais arrivé à un Romand! Il a su parler de ce vote du 14 février qui fut son grand échec mais sans stigmatise­r les citoyens. Il a aussi rappelé combien notre pays avait gagné en visibilité internatio­nale durant sa présidence de l’OSCE, en pleine crise ukrainienn­e, alors qu’elle avait mis «sa neutralité au service du monde». Il a enfin salué l’immense sagesse des institutio­ns suisses, «la magie helvétique du rapprochem­ent des points de vue différents», «la force constructi­ve du regard porté sur l’autre», et formulé le voeu qu’elle perdure dans l’état d’esprit actuel pour affronter les défis de l’avenir. Reconnaiss­ance, respect, humilité, solidarité… un discours simple mais qui avait de la hauteur.

Ensuite, le processus de l’élection permit une victoire sans perdants. Isabelle Moret fit un beau premier score, Pierre Maudet un remarquabl­e deuxième tour, et c’est Ignacio Cassis, issu d’un canton qui ne pèse que 4,3% de la Suisse, qui accéda au pouvoir pour représente­r toute «l’italianità» helvétique. Il est parvenu à prononcer un discours à la hauteur de celui de son prédécesse­ur. Abordant l’exercice en quatre langues, avec cette aisance linguistiq­ue des Tessinois, l’homme était ému et grave, mais souriant et sympathiqu­e. Là où le premier avait insisté sur le respect, il a rappelé que «la liberté, c’est toujours la liberté de celui qui ne pense pas comme vous». Il a su dire combien les régions frontalièr­es ressentent actuelleme­nt les défis de manière plus forte que les autres cantons suisses, faisant évidemment référence à la question migratoire. Il a salué «le vouloir vivre ensemble» de la Suisse et la liberté qui lui sert de ciment. Il a promis de ne pas changer mais de se plier à la volonté commune. Là encore, de la force dans la simplicité.

Bien sûr, au-delà ces belles paroles, Ignacio Cassis devra faire ses preuves et ne pas décevoir. Bien que son élection ne doive rien au peuple, elle replace le Conseil fédéral dans une configurat­ion plus conforme aux voeux de la population sur la question européenne. Ce n’est pas un mal pour éviter les initiative­s à répétition qui aboutissen­t à des psychodram­es et des situations inextricab­les. Reste maintenant à savoir de quel départemen­t il héritera. S’il garde celui de son prédécesse­ur, sa maîtrise des langues sera un atout ainsi que sa conception des relations bilatérale­s avec l’UE et son objectif de régler les questions institutio­nnelles «avec ou sans accord». Si, au contraire, il y a une rocade, ce serait sans doute parce qu’Alain Berset lui céderait l’Intérieur, où ce médecin de profession saura surfer sur les eaux tumultueus­es des questions de santé.

Souhaitons-lui bonne chance dans la tâche qui l’attend dès que les feux de la rampe se seront éteints. On se doute qu’elle ne sera pas de tout repos.

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