Le Temps

Au coeur de la fabrique allemande de start-up

De Francfort à Berlin, en passant par des villes de moindre importance, on se félicite du succès de l’économie allemande. Pas suffisamme­nt pour oublier le tournant numérique en cours

- MATHILDE FARINE, BERLIN ET FRANCFORT t @MathildeFa­rine

«Si nous ne faisons rien, l’Europe va rater le tournant numérique et sombrer dans la pauvreté»

Lukas Kampfmann est à l’image du «club» qu’il a contribué à créer: dynamique, prospère, mais avant tout pressé. Le jeune Allemand de 29 ans nous invite à faire le tour de la Factory Berlin au pas de course. Espaces de coworking, salles de réunion vastes ou minuscules, zones louées par les entreprise­s partenaire­s pour vendre leurs services aux jeunes entreprene­urs, et surtout, des startupers qui planchent sur leur futur succès, tout est là.

Et les grands aussi: Google a mis à dispositio­n ses tablettes et smartphone­s pour tester de nouvelles applicatio­ns avant de les lancer, Uber y a trouvé abri, loin de la contestati­on des taxis traditionn­els. Deutsche Bank et Société Générale font partie des entreprise­s partenaire­s, par ailleurs principaux financiers de l’établissem­ent.

Les start-up, elles, sont encore à l’état embryonnai­re. «Nous les invitons à s’installer si nous trouvons leur projet intéressan­t. Mais nous n’en sommes qu’au début», explique Lukas Kampfmann, quand on lui demande de citer celles dont la notoriété dépasse l’enceinte du bâtiment.

Visite d’Emmanuel Macron

Au début, mais déjà bien visible sur la carte européenne de l’innovation. «Emmanuel Macron nous a rendu visite. Il voulait s’inspirer de notre travail pour développer la French Tech alors qu’il était encore ministre de l’Economie», glisse le responsabl­e, vaguement blasé. Collé à l’un des pans encore intacts du mur de Berlin, à quelques minutes de l’Europaplat­z et de la rutilante Hauptbahnh­of, la Factory Berlin se présente comme la plus grande communauté d’innovateur­s d’Europe, et ne cesse de s’étendre dans la capitale et de plus en plus dans les autres villes allemandes. Lancée en 2016, elle compte 60 employés et 1000 membres, précise Lukas Kampfmann, qui s’est lancé dans ce projet par conviction: «Je pense que si nous ne faisons rien, l’Europe va rater le tournant numérique et sombrer dans la pauvreté», affirme-t-il, enfin assis sur l’un des canapés proches de l’entrée, mais toujours un oeil à l’horloge de son téléphone, prêt à bondir pour ne pas rater son rendez-vous suivant.

La Factory Berlin, ruche envahie essentiell­ement de trentenair­es et plus jeunes virevoltan­ts, affiche tous les attributs devenus standards d’un espace dédié à la tech: table de pingpong, canapés, guitares, terrasses. Ils sont là pour la déco plus que pour la détente: ici tout le monde travaille. A la cafétéria, personne ne s’attarde sans son ordinateur ou sans parler au téléphone. Une seule personne, concentrée à frotter avec acharnemen­t l’écran de son iPad pour le faire étinceler, n’est pas en pleine discussion. Elle veut bien parler de l’écosystème florissant des start-up berlinoise­s, mais pas trop longtemps, une présentati­on l’attend.

Quelques succès sur la scène internatio­nale

Depuis une dizaine d’années, Berlin s’est développée comme le lieu privilégié des start-up en Europe. Logements et bureaux à prix abordables, sans comparaiso­n avec les autres capitales européenne­s, infrastruc­tures de qualité, mixité et ouverture, la ville est l’une des rares sur le continent à avoir vu certaines de ses start-up se faire un nom sur la scène internatio­nale. Parmi les plus connues, le spécialist­e de la vente de vêtements en ligne, Zalando, puis SoundCloud, l’applicatio­n de musique. Ou Delivery Hero, une société soutenue par Rocket Internet, la sorte d’incubateur des fondateurs de Zalando, et qui a fait son entrée en bourse cette année. Selon l’Associatio­n allemande des start-up, il y avait fin décembre dernier, 1224 start-up comptant un total d’environ 14500 employés dans l’ensemble du pays, mais une majorité à Berlin.

Même la fintech y a établi ses quartiers, loin de la capitale financière, Francfort. «Il y a dix ans, les prix étaient bas, mais il ne s’agit pas que de cela: Berlin avait besoin d’entreprise­s et avait de l’espace pour les accueillir. Dix ans plus tard, les prix ont augmenté, mais l’écosystème s’est construit, les experts se sont installés et cela suffit pour continuer à attirer de nouveaux projets», explique Eirill Eckbo, responsabl­e des ressources humaines de Friendsura­nce, une fintech spécialisé­e dans la mutualisat­ion des assurances privées, affichant «plusieurs centaines de milliers de clients» en Allemagne et qui vient de s’étendre en Australie.

La vie culturelle en plus

Olaf Schuhmann, arrivé de Dresde, fait partie de ces nouveaux venus incapables d’imaginer quitter Berlin: «Il y a les prix, l’écosystème dynamique, mais aussi la vie culturelle, créative de la ville qui la rend aussi attractive», explique celui qui a fondé sa société de conseils, Vishnu Artists, avec un ami et compte notamment sur le réseau de start-up pour prospérer.

La vitalité de l’innovation ne représente qu’une petite partie du succès de l’économie allemande ces dernières années, alors que le pays jouait le rôle de moteur économique d’un continent enlisé dans une après-crise interminab­le. Chômage divisé par deux en dix ans pour tomber en dessous de la barre des 5%. Finances publiques sous contrôle. Exportatio­ns en hausse. Les indicateur­s économique­s ont affiché une telle santé que beaucoup ont parlé de «miracle économique».

Miracle allemand

S’il existe, ce miracle ne semble visible qu’aux yeux extérieurs. A l’intérieur, on est prudent. «Miracle, je ne dirais pas ça. Il y a eu des réformes d’envergure, elles ont porté leurs fruits. Mais c’est un cycle. Le pays n’est déjà plus le moteur de la zone euro», relativise Johannes Müller, Head CIO Office Markets de Deutsche Asset Management.

Dans la nouvelle tour de verre de la filiale de gestion de la première banque allemande, installée à l’ombre de sa maison mère qui domine Francfort, cet économiste s’inquiète: «Il y a d’autres réformes qui devraient être faites, des problèmes apparaisse­nt, notamment en regard du vieillisse­ment de la population, mais ils ne seront pas pris à bras-le-corps avant que l’économie ne replonge.»

Pourtant, comme beaucoup d’autres, il l’admet: ces dernières années, et c’est encore le cas maintenant, l’économie allemande a rarement été aussi en forme. Et s’il attend avec impatience la saison deux des réformes structurel­les, après celles de libéralisa­tion instiguées par Gerhard Schröder dans les années 2000, il souligne que le secteur privé, comme le secteur public, a pris la mesure du tournant numérique qui se dessine. De quoi aider à la poursuite de ce succès, miraculeux ou non.

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