Les nombreux oubliés du miracle économique allemand
La mini-usine de la SmartFactory de Kaiserslautern veut aider les entreprises industrielles à intégrer les nouvelles technologies: robots, réalité augmentée, impressions 3D, tout est intégré ou en voie de l’être.
Le risque de paupérisation s’est accru en Allemagne depuis l’adoption de réformes d’inspiration libérale par le gouvernement Schröder. De nombreux Allemands ne survivent que grâce au soutien d’associations caritatives
Un pâle soleil de fin d’été éclaire la Celsiusstrasse. Deux petits vieux, courbés sur un chariot à provision, se hâtent vers le baraquement gris qui sert de centre d’accueil de l’Eglise protestante dans ce quartier défavorisé de l’extrême sud de Berlin. Il y a vingtsept ans, le Mur passait presque au pied des tours de 17 étages, qui alternent le long de la rue avec des bâtiments rectangulaires aux dimensions plus humaines. Ce jour-là, comme chaque mardi, l’association caritative Berliner Tafel – la table berlinoise –, procède en début d’après-midi à une distribution de produits frais réservés aux plus nécessiteux.
En Allemagne, plusieurs millions de personnes ne survivent que grâce à l’action d’associations qui aident retraités, familles et personnes d’origine étrangère dans la gestion de leur quotidien, alors que le risque de pauvreté est en augmentation constante dans le pays. Leur champ d’action va de la distribution de nourriture à celle de vêtements en passant par l’assistance scolaire, la gestion de la consommation d’énergie, ou la récupération d’appareils électroménagers usagés…
«Un enfant sur cinq est menacé»
En mai, le Fonds monétaire international s’inquiétait de la «lente augmentation générale du risque de pauvreté» en Allemagne. Selon l’institut fédéral des statistiques Destatis, 20,1% de la population allemande était menacée de pauvreté ou d’exclusion sociale fin 2015, soit 16,1 millions de personnes. Parmi eux, 13,4 millions sont des salariés pauvres, dont le revenu est inférieur à 60% du salaire médian. L’institut DIW de Berlin souligne qu’entre 1991 et 2014, la moyenne des revenus a augmenté de 12% dans le pays, alors que le PIB progressait de 22% sur la même période. En clair, les inégalités se sont aggravées. «Un enfant sur cinq est menacé de pauvreté», s’alarme cet institut proche des syndicats. Selon un sondage réalisé fin août par l’institut GfK, 17% des Allemands disent craindre de tomber dans la pauvreté, contre 7% un an plus tôt.
Dans la Celsiusstrasse, la distribution de vivres peut maintenant commencer. «Le lundi et le mardi sont les jours de collecte, explique Norbert, qui préside la distribution de produits frais. Avec les camions de l’association, nous faisons le tour des supermarchés partenaires pour récupérer les produits bientôt périmés et considérés comme inaptes à la vente. Ensuite, nous préparons les lots qui seront distribués aux foyers du quartier bénéficiant des minima sociaux, à raison d’un lot par membre de la famille. Un lot permet de nourrir une personne pendant plusieurs jours. Nous le facturons un euro. En supermarché, il y en aurait au moins pour 20 euros! Cent foyers sont inscrits auprès de notre bureau et fréquentent nos distributions. Ce sont essentiellement des retraités, des mères seules et des étrangers.»
«Je regardais le sol tellement j’avais honte»
Dès 13h, la salle d’attente de la Celsiusstrasse se remplit, pendant que les bénévoles préparent les lots: pain, choux, carottes, salade, fruits, laitages seront distribués par ordre d’arrivée. Il n’y aura pas de tomates et de bananes pour tout le monde. Ni même de pommes de terre, particulièrement prisées, mais rares ce jour-là. Angela est arrivée parmi les premiers et se faufile vers la sortie. A près de 50 ans, elle n’a jamais travaillé, seule pour élever ses cinq filles. «Si j’avais su qu’étudier si longtemps me mènerait à ça! Les premières fois que je suis venue aux distributions alimentaires, je regardais le sol tellement j’avais honte. Et puis on finit par s’habituer à la pauvreté. De toute façon, je n’ai pas le choix. Sans les Berliner Tafel, les enfants n’auraient jamais de fruits. C’est trop cher!»
Wolfgang Klappe, 69 ans, attend patiemment son tour. «Je touche 187 euros de retraite par mois, plus un complément versé par l’Etat, qui me permet d’atteindre presque le niveau des minima sociaux, explique cet ancien vendeur en assurance dont la société a périclité. Heureusement que j’ai une amie qui sait merveilleusement cuisiner. Seul, je ne sais pas ce que je ferais d’un chou et de trois carottes!»
Angela et Wolfgang sont les représentants de cette nouvelle pauvreté qui se développe à grands pas en Allemagne depuis l’entrée en vigueur des réformes d’inspiration libérale du gouvernement Schröder (1998-2005). Ces réformes se sont notamment traduites par une diminution du montant et de la durée de perception de l’allocation-chômage. Toute personne à la recherche d’un emploi depuis plus de douze mois ne perçoit plus que le minimum social. 14,5 millions de personnes – chômeurs de longue durée, personnes dans l’incapacité de travailler et leurs familles — vivent en Allemagne des minima sociaux.
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