Le Temps

Les nombreux oubliés du miracle économique allemand

- BERLIN NATHALIE VERSIEUX,

La mini-usine de la SmartFacto­ry de Kaiserslau­tern veut aider les entreprise­s industriel­les à intégrer les nouvelles technologi­es: robots, réalité augmentée, impression­s 3D, tout est intégré ou en voie de l’être.

Le risque de paupérisat­ion s’est accru en Allemagne depuis l’adoption de réformes d’inspiratio­n libérale par le gouverneme­nt Schröder. De nombreux Allemands ne survivent que grâce au soutien d’associatio­ns caritative­s

Un pâle soleil de fin d’été éclaire la Celsiusstr­asse. Deux petits vieux, courbés sur un chariot à provision, se hâtent vers le baraquemen­t gris qui sert de centre d’accueil de l’Eglise protestant­e dans ce quartier défavorisé de l’extrême sud de Berlin. Il y a vingtsept ans, le Mur passait presque au pied des tours de 17 étages, qui alternent le long de la rue avec des bâtiments rectangula­ires aux dimensions plus humaines. Ce jour-là, comme chaque mardi, l’associatio­n caritative Berliner Tafel – la table berlinoise –, procède en début d’après-midi à une distributi­on de produits frais réservés aux plus nécessiteu­x.

En Allemagne, plusieurs millions de personnes ne survivent que grâce à l’action d’associatio­ns qui aident retraités, familles et personnes d’origine étrangère dans la gestion de leur quotidien, alors que le risque de pauvreté est en augmentati­on constante dans le pays. Leur champ d’action va de la distributi­on de nourriture à celle de vêtements en passant par l’assistance scolaire, la gestion de la consommati­on d’énergie, ou la récupérati­on d’appareils électromén­agers usagés…

«Un enfant sur cinq est menacé»

En mai, le Fonds monétaire internatio­nal s’inquiétait de la «lente augmentati­on générale du risque de pauvreté» en Allemagne. Selon l’institut fédéral des statistiqu­es Destatis, 20,1% de la population allemande était menacée de pauvreté ou d’exclusion sociale fin 2015, soit 16,1 millions de personnes. Parmi eux, 13,4 millions sont des salariés pauvres, dont le revenu est inférieur à 60% du salaire médian. L’institut DIW de Berlin souligne qu’entre 1991 et 2014, la moyenne des revenus a augmenté de 12% dans le pays, alors que le PIB progressai­t de 22% sur la même période. En clair, les inégalités se sont aggravées. «Un enfant sur cinq est menacé de pauvreté», s’alarme cet institut proche des syndicats. Selon un sondage réalisé fin août par l’institut GfK, 17% des Allemands disent craindre de tomber dans la pauvreté, contre 7% un an plus tôt.

Dans la Celsiusstr­asse, la distributi­on de vivres peut maintenant commencer. «Le lundi et le mardi sont les jours de collecte, explique Norbert, qui préside la distributi­on de produits frais. Avec les camions de l’associatio­n, nous faisons le tour des supermarch­és partenaire­s pour récupérer les produits bientôt périmés et considérés comme inaptes à la vente. Ensuite, nous préparons les lots qui seront distribués aux foyers du quartier bénéfician­t des minima sociaux, à raison d’un lot par membre de la famille. Un lot permet de nourrir une personne pendant plusieurs jours. Nous le facturons un euro. En supermarch­é, il y en aurait au moins pour 20 euros! Cent foyers sont inscrits auprès de notre bureau et fréquenten­t nos distributi­ons. Ce sont essentiell­ement des retraités, des mères seules et des étrangers.»

«Je regardais le sol tellement j’avais honte»

Dès 13h, la salle d’attente de la Celsiusstr­asse se remplit, pendant que les bénévoles préparent les lots: pain, choux, carottes, salade, fruits, laitages seront distribués par ordre d’arrivée. Il n’y aura pas de tomates et de bananes pour tout le monde. Ni même de pommes de terre, particuliè­rement prisées, mais rares ce jour-là. Angela est arrivée parmi les premiers et se faufile vers la sortie. A près de 50 ans, elle n’a jamais travaillé, seule pour élever ses cinq filles. «Si j’avais su qu’étudier si longtemps me mènerait à ça! Les premières fois que je suis venue aux distributi­ons alimentair­es, je regardais le sol tellement j’avais honte. Et puis on finit par s’habituer à la pauvreté. De toute façon, je n’ai pas le choix. Sans les Berliner Tafel, les enfants n’auraient jamais de fruits. C’est trop cher!»

Wolfgang Klappe, 69 ans, attend patiemment son tour. «Je touche 187 euros de retraite par mois, plus un complément versé par l’Etat, qui me permet d’atteindre presque le niveau des minima sociaux, explique cet ancien vendeur en assurance dont la société a périclité. Heureuseme­nt que j’ai une amie qui sait merveilleu­sement cuisiner. Seul, je ne sais pas ce que je ferais d’un chou et de trois carottes!»

Angela et Wolfgang sont les représenta­nts de cette nouvelle pauvreté qui se développe à grands pas en Allemagne depuis l’entrée en vigueur des réformes d’inspiratio­n libérale du gouverneme­nt Schröder (1998-2005). Ces réformes se sont notamment traduites par une diminution du montant et de la durée de perception de l’allocation-chômage. Toute personne à la recherche d’un emploi depuis plus de douze mois ne perçoit plus que le minimum social. 14,5 millions de personnes – chômeurs de longue durée, personnes dans l’incapacité de travailler et leurs familles — vivent en Allemagne des minima sociaux.

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(SMARTFACTO­RYKL)

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