Le Temps

Un passeur de traditions

- J. G.

A Lausanne, l’artiste présente une quarantain­e d’oeuvres qui privilégie­nt une approche sculptural­e. Il investit les cinq musées et la bibliothèq­ue du Palais de Rumine

Ai Weiwei fait partie de ces artistes si connus qu’on en oublie leur oeuvre. Son activisme et son travail d’artiste sont difficilem­ent dissociabl­es: depuis les années 2000, il met sa notoriété planétaire au service d’une contestati­on féroce du régime chinois. L’exposition qui ouvre ce vendredi à Lausanne prend cependant le parti de privilégie­r une approche sculptural­e, quitte à mettre en sourdine la figure publique de l’activiste. Une année de discussion­s entre Bernard Fibicher, directeur du Musée cantonal des beaux-arts, et l’artiste a abouti à la sélection d’une quarantain­e d’oeuvres ainsi qu’à un principe de disséminat­ion qui entraîne dans une déambulati­on à travers les cinq musées et la bibliothèq­ue du Palais de Rumine.

Le titre est une citation incomplète de l’épitaphe de Marcel Duchamp: «D’ailleurs c’est toujours les autres qui meurent.» Ai a découvert son oeuvre dans les années 1980, alors qu’il vivait à New York, et il utilise fréquemmen­t le principe de détourneme­nt cher à l’artiste français. Il se décrit volontiers comme un readymade: ce sont ses conditions de vie, plus que ses oeuvres, qui font art. S’il les documente au quotidien sur les réseaux sociaux, il a aussi développé depuis plus de trente ans un travail polymorphe que l’exposition donne à voir dans toutes ses facettes.

Installati­ons monumental­es

A côté d’oeuvres explicites, comme une récente série d’assiettes en porcelaine qui retrace à la manière d’une bande dessinée glaçante le parcours des réfugiés (Plats en porcelaine bleu et blanc, 2017), on retrouve ainsi des installati­ons monumental­es dont la dimension politique n’apparaît que dans un second temps, comme Sunflower Seeds, faite à partir de 15 tonnes de graines de tournesol fabriquées à la main par près de 1500 ouvriers (la version initiale de la pièce, montrée à la Tate Modern de Londres en 2010 était dix fois plus vaste), ou ce parterre de fleurs en céramique blanche (Blossom, 2015), qui évoque le minimalism­e américain tout en faisant référence à la campagne des Cent Fleurs, un épisode de répression sanglante de l’histoire politique chinoise, en 1957.

A la Bibliothèq­ue cantonale et universita­ire sont exposés des livres édités et diffusés clandestin­ement par l’artiste dans les années 1990, contenant des reproducti­ons d’oeuvres iconiques de l’art contempora­in occidental ainsi que des traduction­s de textes critiques. Ces ouvrages ont été d’importants outils de décloisonn­ement d’une scène chinoise alors largement coupée du monde. La figure d’artiste qui apparaît à travers cette exposition est ainsi celle d’un passeur de traditions, de formes et d’histoires, bien plus que celle d’un champion de la communicat­ion globalisée.

Ai Weiwei – D’ailleurs c’est toujours

les autres, Musée cantonal des beaux-arts, Lausanne, jusqu’au 28 janvier 2018.

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