Tous les Suisses sont propriétaires du groupe
RENTES A chaque fois qu’un salarié met 2800 francs sur son deuxième pilier, il achète – indirectement – une action de la multinationale de l’agroalimentaire. Ensemble, les caisses de pension suisses détiennent plus de 8,8% de son capital
Ils sont cinq millions. Et pourtant on ne les entend jamais. En Suisse, Monsieur et Madame Tout-le-monde sont, eux aussi, «actionnaires» de Nestlé. A travers leur caisse de pension, cet actionnariat silencieux, composé de retraités et d'assurés actifs, détient environ 23 milliards de francs du capital de la multinationale de l'agroalimentaire.
On compte quelque 1700 caisses de pension en Suisse, avec une masse sous gestion totale de près de 800 milliards de francs, selon les dernières données de l'Office fédéral de la statistique (2016). Sur cette somme, un peu moins de 15% sont investis en actions suisses, soit 120 milliards de francs.
«Profil rêvé» pour les caisses de pension
Les caisses de pension – qui ont tendance à répliquer les indices SMI et SPI – placent en moyenne 20% de cette somme chez Nestlé (qui représente 19% de l'indice des actions suisses, le SPI). En d'autres termes, environ 23 milliards de francs du deuxième pilier des Suisses sont investis dans des actions du groupe veveysan, selon les calculs de plusieurs spécialistes des caisses de pension contactés par Le Temps.
Une somme qui doit être contextualisée, rappelle Graziano Lusenti, associé du cabinet de conseil en placements Lusenti Partners: «Le marché suisse est concentré sur quelques grosses capitalisations (Nestlé, Novartis et Roche en représentent près de la moitié). A ce titre, les actions Nestlé ont le profil rêvé pour les caisses de pension.» En période de taux d'intérêt négatifs, ces actions «défensives» promettent un rendement régulier, soutenu par un dividende fort et offrent une excellente exposition à l'économie mondiale du fait de l'implantation du groupe.
«On peut aimer ou ne pas aimer les activités de Nestlé, son incidence sur les paysans colombiens ou sur l'accès à l'eau en Inde mais, pour les épargnants privés ou institutionnels suisses, le titre est incontournable», tranche le spécialiste. La preuve: à chaque fois qu'un salarié cotise 2800 francs sur son deuxième pilier, il achète – indirectement – une nouvelle action Nestlé, dont le cours est actuellement à environ 81 francs.
Si l'on rapporte cela à la capitalisation du groupe – quelque 260 milliards de francs –, les salariés et retraités suisses détiennent 8,8% de parts du géant de l'agroalimentaire. Soit près de sept fois plus que le fonds activiste Third Point qui, lui, avait fait grand bruit cet été, lors de sa montée dans le capital de Nestlé.
D'où l'intérêt de scruter ses mécanismes de gouvernance, rappelle Vincent Kaufmann, directeur de la fondation Ethos, qui représente les intérêts des caisses de pension auprès des groupes cotés. «Si Nestlé venait un jour à rater un virage, cela pourrait supposer un sacré manque à gagner pour le deuxième pilier.»
Lors de l'assemblée générale de Nestlé en 2005, Ethos s'était opposée au cumul des fonctions de directeur général et de président du conseil d'administration par Peter Brabeck. L'argumentaire soulignait qu'il était trop risqué de confier la gestion d'une part si importante du deuxième pilier suisse à un seul homme. L'offensive n'était pas parvenue à dynamiter le double mandat de l'Autrichien mais avait obtenu un large écho auprès des investisseurs (36% des voix) et des cercles financiers. Deux ans plus tard, les postes ont de nouveau été séparés avec l'arrivée de Paul Bulcke à la direction opérationnelle. L'actionnariat silencieux a peutêtre fini par être entendu.
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«On peut aimer ou ne pas aimer les activités de Nestlé, [...] mais, pour les épargnants privés ou institutionnels suisses, le titre est incontournable» GRAZIANO LUSENTI, ASSOCIÉ DU CABINET DE CONSEIL EN PLACEMENTS LUSENTI PARTNERS