Le Temps

Trevor Noah, les racines helvétique­s d’une star américaine du petit écran

«Mon père ne figurait pas sur mon certificat de naissance. Officielle­ment, il n’est pas mon père» Adulé par des millions de fans, l’animateur vedette du «Daily Show» cache derrière sa jovialité une enfance difficile. Avec un père suisse alémanique «fermé

- VALÉRIE DE GRAFFENRIE­D, NEW YORK @VdeGraffen­ried

Il imite à merveille le président sud-africain Jacob Zuma, a un féroce sens de la repartie et se distingue par l ’élégance de son impertinen­ce, surtout quand il s’agit de se moquer de Donald Trump. Acteur et humoriste, Trevor Noah est l’animateur vedette du Daily Show, parodie satirique d’un journal télévisé diffusée par l a chaîne câblée américaine Comedy Central. C’est une star aux Etats-Unis et en Afrique du Sud, son pays d’origine, où il a fait éclore ses talents de comédien. Ah mais attendez, il a une deuxième patrie: la Suisse.

Trevor Noah est né le 20 février 1984 à Johannesbu­rg. Sa mère, Patricia, est sud-africaine, d’ethnie xhosa. Son père parle aussi un dialecte: Robert est Suisse alémanique. Le début d’une jolie fable métissée? Pas vraiment. Il grandit à Soweto, en plein apartheid, en étant le fruit d’une union considérée comme un crime. Un crime passible de cinq ans de prison. C’est ce qui a inspiré le titre de son autobiogra­phie Born a crime. Son enfance, il l’a vécue la plupart du temps caché, avec une mère régulièrem­ent arrêtée. Quand elle n’était pas en prison, à force de braver les interdits faits aux Noirs, elle vivait dans la peur, par crainte d’être dénoncée, elle qui a «fauté» avec un Blanc. Le danger venait même de Noirs qui collaborai­ent avec la police de l’apartheid. Elle craignait qu’on lui confisque son fils.

Le père de Trevor finira par partir. En 1992, la très religieuse Patricia se marie avec un Sud-Africain, noir. Elle aura deux autres enfants mais divorce quatre ans plus tard, victime de violences conjugales: son mari a des problèmes d’alcool. Lorsqu’elle se fiance avec un autre homme en 2009, son ex-mari réapparaît. C’est le drame. Il lui tire une balle dans la cuisse, une autre dans la tête. La balle sort par les narines. La mère de Trevor survit miraculeus­ement. Mais l’hyperactif Trevor, qui cartonne déjà sur les planches et dans des shows télévisés, se sent menacé. Il craint pour sa vie et décide de s’exiler à Los Angeles. Son ex-beaupère n’est arrêté qu’en 2012 pour tentative de meurtre. Sans jamais faire l’objet d’un procès.

Aux Etats-Unis, le succès est rapide. Trevor, qui n’a plus rien de l’ado dévoré par une vilaine acné, devient, en septembre 2015, le remplaçant de Jon Stuart, le présentate­ur vedette du Daily Show. C’est la consécrati­on. En septembre dernier, il apprend que son émission est reconduite jusqu’en 2022. L’enfant caché de Soweto, l e métisse né d’une union « criminelle » , celui qui parle couramment anglais, afrikaans, zoulou, xhosa, tsonga, tswana (et un peu allemand), est désormais surprotégé par une armée de communican­ts, qui balayent les demandes d’entrevue. Un vrai statut de star, qu’il fréquente d’ailleurs en nombre. Cet été, il faisait partie des rares invités d’une fête très select pour l e 36e anniversai­re de Roger Federer à New York.

Mais revenons à Robert, le père absent, celui dont on parle peu. Le Suisse al é manique. Trevor l’évoque dans son livre. Comme il raconte les chenilles qui ont parfois fait office de repas, le jour où sa mère l’a éjecté d’une voiture, en pleine tentative de kidnapping, ou ses débuts de petit voyou avec des copains de quartier. Trevor ne semble toujours pas vraiment savoir ce qui unissait son père à sa mère. Sa mère a bravé les interdits en quittant sa maison familiale pour aller vivre à Johannesbu­rg. Elle a d’abord dormi dans des toilettes publiques, a appris le système D grâce à des prostitués xhosa. Puis elle a obtenu un appartemen­t grâce à un Allemand qui a accepté de signer le bail pour elle. C’est à ce moment-là qu’elle a connu Robert: il vivait dans le même immeuble.

«Il avait 46 ans. Elle avait 24 ans. Il était calme et réservé; elle était sauvage et libre», écrit Trevor Noah. Elle voulait des enfants, lui pas. Elle lui a dit qu’elle voulait juste son sperme, il lui répond qu’il est catholique, qu’il ne «fait pas ce genre de choses». Puis, un jour, Robert finit par accepter de lui donner un enfant. Trevor Noah: «Pourquoi il a dit oui est une question à laquelle je n’aurai jamais de réponse.» Quand il naît, les médecins le trouvent bien pâlot. La jeune mère fait croire que le père vient du Swaziland. «Mon père ne figurait pas sur mon certificat de naissance. Officielle­ment, il n’est pas mon père», raconte le comédien dans son autobiogra­phie.

Un jour, quand il avait 24 ans, sa mère lui lance: «Tu dois retrouver ton père.» La dernière fois qu’il l’avait vu, il avait 13 ans. C’était quand son père était parti vivre à Cape Town. Depuis, plus rien. Il ne pensait en fait plus le revoir. Il ne sait pas grand-chose de lui. Seulement qu’il a été chef dans des restaurant­s à Montréal et à New York avant d’arriver en Afrique du Sud, et qu’il a ouvert quelques bars et restaurant­s. Mais il se souvient de certains détails: «C’est la seule personne que je connaisse qui laisse une chambre d’hôtel plus propre qu’à son arrivée.» C’était aussi un combattant déterminé de l’apartheid, qui a toujours cherché à accueillir des Noirs dans ses restaurant­s. Trevor se rappelle encore des rösti qu’il lui faisait. Et des Noëls européens. Mais il l’avoue: «C’est un livre fermé.»

A 24 ans donc, il fait des recherches et finit par recevoir une lettre de Robert. Robert vivait encore à Cape Town. Trevor renoue contact avec lui. Son père l’accueille à la maison, avec des rösti. Comme avant. Surtout, il lui montre un dossier. Un classeur dans lequel il avait soigneusem­ent conservé toutes les coupures de presse évoquant la carrière de son fils. Pendant quelques instants, les fossettes de Trevor se sont encore plus creusées.

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