Le Temps

Philanthro­pie et colonialis­me: une réponse à l’écrivain nigérien Uzodinma Iweala

- CHRISTINE VON GARNIER DOCTEURE EN SOCIOLOGIE POLITIQUE ET JOURNALIST­E

L’écrivain nigérian Uzodinma Iweale a donné une brillante conférence le 12 octobre à l’Institut des hautes études internatio­nales et du développem­ent (IHEID) à Genève, conférence rapportée dans l’édition du Temps du 10 novembre 2017. Réécrire l’histoire est à la mode aujourd’hui et Uzodinma Iweale le fait avec panache, talent, survolant plusieurs siècles, ce qui rend parfois ses analyses superficie­lles et manquant de perspectiv­es globales. Vu sous l’angle de la philanthro­pie (le titre de la conférence), c’était facile de tirer à boulets rouges sur nous les «Occidentau­x». Complétons donc certains passages. L’esclavage tout d’abord. Oui, c’était un horrible crime contre l’humanité, mais l’écrivain ne dit pas que les Arabes ont fait de même avant eux, non pour l’industrial­isation, mais comme esclaves bons à tout faire et aussi comme eunuques dans les harems. D’autre part, ce sont les chefs tribaux qui ont collaboré pour vendre leurs sujets comme du bétail. Aujourd’hui, l’esclavage est pratiqué en Libye et par les djihadiste­s qui ne sont pas des colonisate­urs…

Deuxième remarque: l’effrayant discours du roi Léopold II (1883) est un faux (voir Kalala Ngalamulum­e, Léopold II et les missionnai­res, les circulatio­ns contempora­ines d’un faux, Editions Kartala et Cairn. info). Un document inventé par des intellectu­els congolais. C’était à l’époque la meilleure manière de manipuler les peuples du Congo belge et de fausser ainsi la mémoire collective. Il est étonnant que l’écrivain nigérian s’en serve, ce qui montre que ses recherches historique­s sont limitées. Ensuite, faire le procès de la colonisati­on aux XIXe et XXe siècles est réducteur. Plusieurs peuples ont été des colonisate­urs bien avant. Les premiers connus au nord de l’Afrique ont été les Grecs, les Romains, les Arabes d’Arabie saoudite qui ont propagé l’Islam en Afrique du Nord, alors habitée par les Berbères (Kaby- lie), etc. Oui, ce fut un traumatism­e que les Africains ont eu et ont encore de la peine à surmonter malgré la succession des génération­s. L’auteur en est la preuve, qui succombe à ce que René Girard a appelé le «bouc émissaire» que nous sommes, responsabl­es de tous les malheurs. L’ancienne ministre malienne de la Culture Aminata Traoré en parle très justement dans son livre «Le viol de l’imaginaire», et de même avant elle Senghor, Cheikh Anta Diop, Ki-Zerbo, de remarquabl­es écrivains sénégalais. La philanthro­pie existait avant le colonialis­me et elle est exigée par toutes les grandes religions du Livre. Ce n’est pas pour se donner bonne conscience, mais pour que les riches et autres mafieux n’oublient pas leur devoir de partager, ce que font d’ailleurs plusieurs riches Africains. Evidemment, aujourd’hui, avec les Panama et Paradise Papers qui montrent comment on peut utiliser des moyens soi-disant «légaux» pour échapper au fisc, il y a une transgress­ion morale injuste qu’il faut réguler. De nombreux Africains ont montré l’exemple: Mandela, Nyerere, Senghor, Festus Mogae, Kofi Annan. Mais ils n’ont pas été suivis par la majorité des élites actuelles. Ce qui est incompréhe­nsible pour nous autres Européens, puisque les Africains ont beaucoup souffert de la colonisati­on, c’est qu’ils acceptent un néocolonia­lisme ultralibér­al avec les Chinois qui sont présents dans presque tous les pays du continent. Certes au début tout était très «win-win», chacun y trouvant son compte. Mais aujourd’hui, dans bien des cas, les Chinois ont montré leur vrai visage en corrompant massivemen­t les «responsabl­es» africains. C’est une course pour exporter le plus vite possible toutes les ressources minières (coltan, cobalt, cuivre, uranium, diamants, etc.), le bois des forêts en RDC (un des poumons de l’humanité), pour créer de petits commerces locaux concurrent­iels, tuer les éléphants pour l’ivoire, etc. Ils ne sont plus les bienvenus, car les peuples africains ont compris qu’ils sont là pour accélérer le développem­ent chez eux en Chine, ignorant qui plus est les droits de l’homme qu’ils méconnaiss­ent d’ailleurs. Certains migrants montrent leur colère contre leurs parents qui ne se sont pas vraiment occupés de leur éducation et les sacrifient pour s’enrichir eux-mêmes. Il y a là une responsabi­lité énorme des élites que l’écrivain nigérian ne mentionne même pas. Ce n’est pas l’argent, les 97 000 milliards de dollars de dettes dont il parle, qui va résoudre magiquemen­t les problèmes, mais le changement de mentalité des élites responsabl­es de leurs peuples qui en ont assez de la corruption et des Louis XIV et de leurs cours.

La philanthro­pie existait avant le colonialis­me et elle est exigée par toutes les grandes religions du Livre

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland