Le Temps

L’Allemagne plonge dans l’incertitud­e

Fragilisée par son incapacité à former une coalition gouverneme­ntale, Angela Merkel s’accroche. Et pourrait rester au pouvoir dans un gouverneme­nt minoritair­e qui risque de tenir quelques mois

- NATHALIE VERSIEUX, BERLIN

L’incapacité d’Angela Merkel à former une coalition ouvre des scénarios inédits, allant des élections anticipées au gouverneme­nt minoritair­e

C’est un séisme politique sans précédent dans l’histoire de la République fédérale allemande. Pour la première fois depuis 1949, le pays s’est retrouvé lundi sans majorité de gouverneme­nt stable, après que le Parti libéral a claqué la porte des négociatio­ns visant à créer une coalition avec les conservate­urs de la CDU et les Verts. Angela Merkel, qui avait difficilem­ent remporté les dernières élections fin septembre avec un score bas, reste au pouvoir mais se retrouve proche de l’éviction.

Si de nouvelles élections ont lieu, Angela Merka a anoncé qu’elle s’y représente­rait. Mais son score médiocre en septembre rend ce scénario improbable. A ce stade, sa seule possibilit­é de continuer à gouverner serait de créer une nouvelle majorité. Impossible dans l’immédiat, vu le refus des socialiste­s et des libéraux d’y participer. Seuls les Verts semblent intéressés à poursuivre les discussion­s en vue de former une alliance minoritair­e avec la CDU.

L’Allemagne paie ainsi le prix de l’émiettemen­t de son paysage politique, avec la montée en puissance des populistes de l’AfD et de libéraux devenus beaucoup plus droitiers.

La messe n’est pourtant pas dite pour Angela Merkel. Elle garde une chance de rester au pouvoir dans le cadre d’une nouvelle coalition à inventer. C’est ce scénario que privilégie le président Frank-Walter Steinmeier. Il ne veut pas d’élections anticipées qui risqueraie­nt de renforcer un peu plus les populistes. A la place, il pourrait faire durer plusieurs mois le gouverneme­nt transitoir­e d’Angela Merkel. En attendant que les partis, libéral ou social-démocrate, reviennent à la raison et acceptent de gouverner avec elle. Ou que de nouvelles élections, convoquées au moment opportun, lui permettent de consolider sa position.

«L’échec des négociatio­ns signe la fin politique d’Angela Merkel» FRANK DECKER, POLITOLOGU­E

C’est tendue et visiblemen­t éprouvée qu’Angela Merkel s’est présentée, lundi vers 1h30, face aux caméras de télévision après plus de 12 heures de négociatio­ns infructueu­ses, rompues par l’un de ses partenaire­s potentiels de coalition: les libéraux du FDP. «Il vaut mieux ne pas gouverner que mal gouverner», assurait alors le patron du FDP, Christian Lindner, mallette de dossiers et manteau à la main, avant de disparaîtr­e dans sa voiture. «C’était vraiment de la terreur psychologi­que, nous avons maintenant tous besoin d’une thérapie», estimait le Vert Robert Habeck, en constatant l’échec des pourparler­s.

Huit semaines après les élections, l ’Allemagne est sous l e choc. Et Angela Merkel, qui jouait là sa survie politique, est plus que jamais sous pression. «En tant que chancelièr­e, je ferai tout pour mener le pays hors de cette passe difficile » , a- t- elle déclaré lundi au petit matin, avant de se corriger «en tant que chancelièr­e chargée d’expédier les affaires courantes».

La distinctio­n en dit long sur sa position à la tête du pays, depuis que son Parti chrétien-démocrate, affaibli par le plus mauvais score de son histoire, a échoué à former, avec les libéraux et les Verts, une coalition inédite au niveau national, dite «Jamaïque», en référence aux couleurs politiques des différents partenaire­s potentiels. Ces derniers – CDU, CSU bavaroise, FDP et Verts – ont été incapables de trouver un compromis sur l’environnem­ent, l e regroupeme­nt f amilial pour les réfugiés, l’abandon de l’impôt dit «de solidarité» en faveur de l’exRDA et la réforme de l’Union européenne.

Conforméme­nt à la Constituti­on, la sortie de la crise – et donc l’avenir politique de la chancelièr­e – est désormais entre les mains du président de la République, le social-démocrate Frank-Walter Steinmeier.

Un boulevard pour l’AfD

En théorie, trois scénarios sont possibles. Le président pourrait convoquer de nouvelles élections, début 2018. Angela Merkel dit ne pas craindre de se représente­r si ce scénario se concrétise. Mais «le seul vainqueur d’une telle option serait le parti d’extrême droite AfD», souligne la politologu­e Andrea Römmele, de la Hertie School of Governance. Lundi, Frank-Walter Steinmeier répétait son refus d’un tel scénario et appelait l’ensemble des partis du Bundestag à «faire face à leurs responsabi­lités».

Restent deux options, qui passent toutes deux par un maintien de Merkel au pouvoir. Soit à la tête d’une coalition avec les sociaux-démocrates, comme entre 2005 et 2009, puis entre 2013 et septembre dernier. Soit, et c’est le plus vraisembla­ble puisque les sociaux-démocrates ont de nouveau exclu hier de reconduire la grande coalition, à la tête d’un gouverneme­nt minoritair­e. Cette option

serait transitoir­e et permettrai­t à la cheffe de la CDU de convoquer ellemême des élections anticipées pour sortir la tête haute, au moment qui lui semblera opportun.

Lundi, l’échec des négociatio­ns apparaissa­it comme un échec personnel de la chancelièr­e, déjà fragi- lisée par des législativ­es décevantes pour son Parti chrétien-démocrate (la CDU a réalisé le 24 septembre le pire score de son histoire avec 33% des voix), et alors que son cap centriste est de plus en plus contesté par l’aile droite du mouvement.

Première tempête

Si elle parvient à se maintenir au pouvoir, Angela Merkel réussira-t-elle, aussi, à sauver son bilan politique? Ce quatrième mandat, qu’elle a brigué voici exactement un an, le 20 novembre 2016, devait être celui qui sacrerait sa place dans l’histoire allemande. Il devait lui assurer le record de longévité en politique, et lui permettre de gouverner sans avoir à se soucier vraiment d’une éventuelle sanction des urnes, puisqu’il devait être le dernier.

«La fin des négociatio­ns signe la fin politique d’Angela Merkel», estime le politologu­e Frank Decker. Mais Angela Merkel n’a peut-être pas dit son dernier mot. La fin des négociatio­ns dimanche n’est pas la première tempête politique qu’elle traverse. A l’automne 2016, son avenir semblait déjà compromis, alors que son parti venait de perdre la première place aux élections régionales de son fief, le Mecklenbou­rg-Poméranie, au profit des populistes de l’AfD. Elle était alors parvenue à rebondir grâce aux inquiétude­s provoquées par le Brexit et l’élection de Donald Trump.

Mais la nouvelle crise provoquée par son incapacité à trouver une majorité place Angela Merkel dans une situation encore plus délicate. Pour la première fois, des voix se sont élevées au sein de la CDU pour réclamer ouvertemen­t un virage à droite. Lors de son élection au poste de chef du groupe parlementa­ire conservate­ur au Bundestag au lendemain du vote, Volker Kauder, fidèle parmi les fidèles, a obtenu un score décevant, attribué à l’impatience des jeunes du parti mais aussi à des désaccords politiques.

La chancelièr­e, qui a réussi à écarter tout rival potentiel au sein de la CDU, doit désormais envisager d’organiser sa succession à la tête du parti.

«C’était vraiment de la terreur psychologi­que, nous avons maintenant tous besoin d’une thérapie»

ROBERT HABECK, LES VERTS

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(SEAN GALLUP/GETTY IMAGES)) Angela Merkel, plus fragilisée que jamais.

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