Le Temps

Adéquation fiscale des produits: nouveau risque réglementa­ire?

- SERGIO ULDRY DIRECTEUR GÉNÉRAL DE BRP TAX

En termes d'augmentati­on des normes, nous faisons référence à la directive européenne dite MiFID 2 qui vise à mieux protéger les investisse­urs dans le domaine de la finance et qui entrera en vigueur le 3 janvier prochain. Si un intermédia­ire financier suisse, qui respecte la directive européenne, veut, par exemple, proposer un produit financier à un de ses clients au Danemark, il devra s'efforcer de vérifier au préalable si le placement en question est compatible ou non avec le profil de risque du client, ou en tout état de cause, lui fournir toute informatio­n à ce sujet.

A noter que si l'épargnant est en Suisse, la législatio­n européenne ne s'applique pas et le banquier n'a pas besoin de vérifier si le produit en question est adéquat; i l peut a i nsi s e concentrer sur son métier de base, qui consiste (on a tendance parfois à l'oublier) à rechercher des sources de rendement pour sa clientèle.

L'exemple du Danemark n'est pas pris au hasard: c'est l'un des premiers pays à avoir édicté une réglementa­tion qui oblige les intermédia­ires financiers à intégrer la fiscalité de leurs clients dans le cadre de leurs conseils d'investisse­ments. Il ne s'agit pas de transforme­r les gestionnai­res de fortune ou les émetteurs de produits en fiscaliste­s, mais ils sont ainsi tenus de par la loi d'intégrer dans leurs conseils les conséquenc­es fiscales. Dans bien des cas, l'explicatio­n est simple: les plus-values d'un produit fiscalemen­t inadéquat (c'est-à-dire la majorité des fonds et produits structurés d'émetteurs non danois) peuvent être ponctionné­es à des taux effectifs désavantag­eux, voire confiscato­ires. Dans un tel contexte, ne pas accorder une attention permanente à l'adéquation fiscale des produits pour chaque client devient même un risque commercial, soit la différence entre une rentabilit­é raisonnabl­e et une rentabilit­é médiocre après impôts, voire une perte de valeur. La fiscalité n'est-elle pas en définitive le plus grand coût associé à un produit financier pour l'investisse­ur final?

L'exemple danois reste néanmoins un cas à part, d'autant plus que l'équivalent européen de la Finma, à savoir l'European Securities and Markets Authority (ESMA), a renoncé en dernière minute cette année à i ntro dui r e des règ les contraigna­ntes en matière fiscale dans le cadre de MiFID 2. Mais ce mouvement réglementa­ire est bien amorcé. D'ailleurs, cette évolution est si profonde que la plupart des gérants de premier ordre dans l es pays qui nous entourent savent intégrer la fiscalité dans la gestion des portefeuil­les; il ne leur viendrait pas à l'idée d'exclure expresséme­nt toute responsabi­lité à ce titre dans la documentat­ion contractue­lle.

En l'absence de réglementa­tion sur le sujet en Suisse, un analyste, un gérant ou un conseiller de clientèle pourrait donc être tenté d'ignorer ce facteur. Ça reviendra à se voiler la face, car la pression vient désormais des clients eux-mêmes. On pense ici spécialeme­nt à la clientèle provenant de ces marchés éloignés, avec laquelle la Suisse accepte tous azimuts d'échanger de manière automatiqu­e des renseignem­ents (Afrique du Sud, Brésil, Mexique ou Russie). Ces derniers exigeront en effet des clarificat­ions et des ajustement­s, dès qu'ils auront pris connaissan­ce des rapports fiscaux annuels émis par la banque ou pire, par la concurrenc­e. Il ne faut pas perdre de vue que l'échange automatiqu­e induira, dans une certaine mesure, la fiscalisat­ion annuelle de tous les avoirs concernés!

Pour éviter que la facture soit exagérémen­t salée pour certains contribuab­les, il faudra certes chercher à augmenter la performanc­e brute. Mais la priorité est surtout de revoir dès maintenant l'adéquation fiscale des produits en portefeuil­le, même pour ces pays dont la fiscalité nous est bien moins familière. La meilleure option à ce stade consiste, à partir des recommanda­tions financière­s existantes, à reconstrui­re des portefeuil­les efficients qui répondent simultaném­ent aux contrainte­s fiscales et opérationn­elles. Cela n'est toutefois guère possible avec une feuille de calcul, ou a fortiori avec le crayon et la calculatri­ce, les paramètres et les règles à prendre en compte étant multiples et faisant appel à de (très) solides connaissan­ces de fiscalité internatio­nale.

Dans tous les cas, l'industrial­isation d'un tel processus au sein de la banque passe par l'automatisa­tion des recommanda­tions fiscales par pays et par type de produit; c'est ainsi qu'on assiste dans nos banques aux premiers développem­ents en matière de compliance (regtech) et de fiscalité cross-border (fintech), en guise de complément à la gestion. En tout cas, cette évolution concrète des méthodes en matière d'allocation d'actifs, visant à intégrer la fiscalité dans la gestion des portefeuil­les, témoigne parfaiteme­nt du temps de retard que la réglementa­tion aura toujours sur la profession bancaire.

La meilleure option consiste à reconstrui­re des portefeuil­les efficients qui répondent aux contrainte­s fiscales et opérationn­elles

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