Adéquation fiscale des produits: nouveau risque réglementaire?
En termes d'augmentation des normes, nous faisons référence à la directive européenne dite MiFID 2 qui vise à mieux protéger les investisseurs dans le domaine de la finance et qui entrera en vigueur le 3 janvier prochain. Si un intermédiaire financier suisse, qui respecte la directive européenne, veut, par exemple, proposer un produit financier à un de ses clients au Danemark, il devra s'efforcer de vérifier au préalable si le placement en question est compatible ou non avec le profil de risque du client, ou en tout état de cause, lui fournir toute information à ce sujet.
A noter que si l'épargnant est en Suisse, la législation européenne ne s'applique pas et le banquier n'a pas besoin de vérifier si le produit en question est adéquat; i l peut a i nsi s e concentrer sur son métier de base, qui consiste (on a tendance parfois à l'oublier) à rechercher des sources de rendement pour sa clientèle.
L'exemple du Danemark n'est pas pris au hasard: c'est l'un des premiers pays à avoir édicté une réglementation qui oblige les intermédiaires financiers à intégrer la fiscalité de leurs clients dans le cadre de leurs conseils d'investissements. Il ne s'agit pas de transformer les gestionnaires de fortune ou les émetteurs de produits en fiscalistes, mais ils sont ainsi tenus de par la loi d'intégrer dans leurs conseils les conséquences fiscales. Dans bien des cas, l'explication est simple: les plus-values d'un produit fiscalement inadéquat (c'est-à-dire la majorité des fonds et produits structurés d'émetteurs non danois) peuvent être ponctionnées à des taux effectifs désavantageux, voire confiscatoires. Dans un tel contexte, ne pas accorder une attention permanente à l'adéquation fiscale des produits pour chaque client devient même un risque commercial, soit la différence entre une rentabilité raisonnable et une rentabilité médiocre après impôts, voire une perte de valeur. La fiscalité n'est-elle pas en définitive le plus grand coût associé à un produit financier pour l'investisseur final?
L'exemple danois reste néanmoins un cas à part, d'autant plus que l'équivalent européen de la Finma, à savoir l'European Securities and Markets Authority (ESMA), a renoncé en dernière minute cette année à i ntro dui r e des règ les contraignantes en matière fiscale dans le cadre de MiFID 2. Mais ce mouvement réglementaire est bien amorcé. D'ailleurs, cette évolution est si profonde que la plupart des gérants de premier ordre dans l es pays qui nous entourent savent intégrer la fiscalité dans la gestion des portefeuilles; il ne leur viendrait pas à l'idée d'exclure expressément toute responsabilité à ce titre dans la documentation contractuelle.
En l'absence de réglementation sur le sujet en Suisse, un analyste, un gérant ou un conseiller de clientèle pourrait donc être tenté d'ignorer ce facteur. Ça reviendra à se voiler la face, car la pression vient désormais des clients eux-mêmes. On pense ici spécialement à la clientèle provenant de ces marchés éloignés, avec laquelle la Suisse accepte tous azimuts d'échanger de manière automatique des renseignements (Afrique du Sud, Brésil, Mexique ou Russie). Ces derniers exigeront en effet des clarifications et des ajustements, dès qu'ils auront pris connaissance des rapports fiscaux annuels émis par la banque ou pire, par la concurrence. Il ne faut pas perdre de vue que l'échange automatique induira, dans une certaine mesure, la fiscalisation annuelle de tous les avoirs concernés!
Pour éviter que la facture soit exagérément salée pour certains contribuables, il faudra certes chercher à augmenter la performance brute. Mais la priorité est surtout de revoir dès maintenant l'adéquation fiscale des produits en portefeuille, même pour ces pays dont la fiscalité nous est bien moins familière. La meilleure option à ce stade consiste, à partir des recommandations financières existantes, à reconstruire des portefeuilles efficients qui répondent simultanément aux contraintes fiscales et opérationnelles. Cela n'est toutefois guère possible avec une feuille de calcul, ou a fortiori avec le crayon et la calculatrice, les paramètres et les règles à prendre en compte étant multiples et faisant appel à de (très) solides connaissances de fiscalité internationale.
Dans tous les cas, l'industrialisation d'un tel processus au sein de la banque passe par l'automatisation des recommandations fiscales par pays et par type de produit; c'est ainsi qu'on assiste dans nos banques aux premiers développements en matière de compliance (regtech) et de fiscalité cross-border (fintech), en guise de complément à la gestion. En tout cas, cette évolution concrète des méthodes en matière d'allocation d'actifs, visant à intégrer la fiscalité dans la gestion des portefeuilles, témoigne parfaitement du temps de retard que la réglementation aura toujours sur la profession bancaire.
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La meilleure option consiste à reconstruire des portefeuilles efficients qui répondent aux contraintes fiscales et opérationnelles