Le procès Mladic et ses fantômes
C’est le dernier procès qui s’achève, mais aussi l’un des plus attendus: le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie rend ce mercredi matin son verdict contre Ratko Mladic, l’ancien chef militaire des Serbes de Bosnie-Herzégovine
Ratko Mladic a été arrêté en Serbie en mai 2011, son procès-fleuve a fait comparaître plus de 300 témoins, 10000 éléments de preuve ont été rassemblés, mais il se réduit fondamentalement à une simple question: l’ancien militaire sera-t-il reconnu coupable de «génocide» pour les crimes commis entre 1992 et 1995? Munira Subasic, la présidente de l’association des mères de Srebrenica, espère que cette accusation sera confirmée non seulement pour la cité martyre, où plus de 7000 hommes bosniaques ont été froidement exécutés, mais aussi «pour d’autres villes de Bosnie-Herzégovine», comme Prijedor ou Foca, dont le simple nom rappelle encore aujourd’hui des massacres qui hantent les mémoires de ce pays déchiré. Il conviendra non seulement de confirmer le caractère génocidaire des exactions commises dans le cadre des opérations de nettoyage ethnique menées par les forces serbes, mais aussi la responsabilité personnelle de commandement de Ratko Mladic.
Quel bilan?
L’affaire n’est pas entendue d’avance et, à l’heure du bilan du TPIY, dont la fin est planifiée depuis plus d’une décennie, les réactions au verdict devraient être mitigées dans les Balkans. Créé en 1993 par une résolution du Conseil de sécurité des Nations unies, le tribunal devait juger les dirigeants et les commanditaires des crimes de guerre majeurs commis durant les conflits yougoslaves, les «gros poissons» et non les simples exécutants. En disant le droit et en individualisant les responsabilités dans les crimes commis, il devait aussi contribuer à la réconciliation régionale, en permettant aux différentes sociétés de la région de faire face à leur passé récent et de se dissocier des violences perpétrées «en leur nom». En réalité, la longue traque des inculpés s’est souvent apparentée à un interminable marchandage, même si elle a permis de rassembler une impressionnante documentation sur les guerres des années 1990, des archives qui permettront un jour aux historiens de dresser un tableau complet de cette tragédie.
Monnayer les transferts
Alors que l’Union européenne exigeait une «coopération pleine et entière» des pays de la région avec la TPIY, la Croatie comme la Serbie ont monnayé le transfert de leurs inculpés contre l’avancée de leur processus d’intégration, laissant croire que la justice n’était pas une fin en soi, mais un simple «prix à payer». Pire encore, les gouvernements des deux pays ont financé la défense des accusés, y compris Ratko Mladic dans le cas de la Serbie, tandis que ceux qui ont été libérés, qu’ils soient acquittés ou qu’ils aient purgé leur peine, sont revenus en héros dans leurs pays respectifs. A la veille du verdict Mladic, la presse serbe n’évoquait d’ailleurs que la santé vacillante de l’accusé et les «injustices» dont auraient été victimes les Serbes. De son côté, Milorad Dodik, le président de la Republika Srpska, «l’entité serbe» d’une Bosnie-Herzégovine toujours divisée, a affirmé qu’une condamnation ne ferait que «renforcer le mythe de Mladic», alors que 150 représentants des victimes sont arrivés à La Haye pour entendre le verdict.
Le tribunal a souvent manqué de pédagogie; sa procédure (inspirée par le droit anglo-saxon) permettait des négociations entre les accusés; et la cour était souvent incompréhensible pour les victimes – tandis que sa politique pénale n’a pas contribué à clarifier les enjeux. Après avoir été condamnés à de très lourdes peines en première instance, les généraux croates Ante Gotovina ou Mladen Markac, tout comme l’ancien chef d’état-major serbe Momcilo Perisic, ont été acquittés en appel sans qu’aucune nouvelle preuve ne soit fournie, sur la base d’un simple changement de «l’intime conviction» des juges. Durant les années 2012 et 2013, le TPIY a semblé ainsi devenir une étrange «machine à acquitter», chacune de ses décisions étant aussitôt saluée dans les pays d’origine des accusés. «C’était comme un match de football», s’indignait alors le militant croate des droits de la personne Zoran Pusic. «Un Croate acquitté? 1-0 pour la Croatie, et ensuite, la Serbie égalisait…»
Début novembre, les visites du président du TPIY, le juge Carmel Agius, en Serbie, et du procureur général Serge Brammertz à Sarajevo, avaient des allures de tournée d’adieu. C’est désormais aux justices locales qu’il appartiendra de poursuivre les criminels
Ratko Mladic à Han Pijesak, en Bosnie-Herzégovine, en 1993. «C’était comme un match de football. Un Croate acquitté? 1-0 pour la Croatie, et ensuite, la Serbie égalisait…»
ZORAN PUSIC, MILITANT CROATE
DES DROITS DE L’HOMME
de guerre supposés, même si un nouveau tribunal spécial, chargé de juger les crimes de guerre supposés de l’UÇK, l’ancienne guérilla albanaise du Kosovo, devrait émettre ses premières inculpations dans les semaines à venir. C’est en constatant ces échecs de la justice internationale que de nombreuses organisations de la région ont lancé, en 2010, une initiative pour la création d’une Commission vérité et réconciliation régionale (Rekom). Pourtant soutenue par des dizaines de milliers de signatures de responsables politiques ou associatifs et de citoyens ordinaires de toutes les républiques post-yougoslaves, cette initiative tarde toujours à se concrétiser. Avant tout parce que les gouvernements de la région préfèrent se contenter de la fermeture du TPIY pour tourner la page. Quitte à faire, une fois de plus, passer sous le boisseau les exigences de justice.
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