Le Temps

Radicalisé­s à l’aide sociale: le canton de Vaud tire la sonnette d’alarme

L’Yverdonnoi­s et son épouse colombienn­e arrêtés dans une opération antiterror­iste franco-suisse étaient à l’aide sociale. Pour un montant entre 150 000 et 200 000 francs. Réaction du conseiller d’Etat vaudois Pierre-Yves Maillard

- LAURE LUGON ZUGRAVU @LaureLugon

On sait déjà le parcours psychologi­que erratique du djihadiste présumé d'Yverdon, arrêté le 7 novembre lors d'une opération antiterror­iste menée par la Suisse et la France. Son épouse colombienn­e avait aussi été arrêtée, à leur domicile de Saint-Aubin (NE). On connaît désormais leurs profils de bénéficiai­res de l'aide sociale. Après l'imam biennois qui avait prêché la haine et celui de Winterthou­r condamné pour incitation à la violence, tous deux soutenus financière­ment par l'Etat, le Croate d'origine et sa compagne viennent rejoindre la petite équipe des radicalisé­s assistés.

Selon les informatio­ns du Temps, Mirko (prénom d'emprunt) émarge épisodique­ment à l'aide sociale vaudoise dès 2009 déjà. Il perçoit alors des aides de courte durée, puis trois ans de suite, en complément d'autres revenus modestes. Son épouse, elle, était dépendante de l'aide sociale depuis 2014. Jusqu'au 14 novembre exactement, soit une semaine après son arrestatio­n, lorsque le revenu d'insertion lui a été supprimé. Le dossier de Mirko a été fermé plus tôt, en juillet dernier. Car les autorités avaient constaté, après enquête, qu'il ne résidait plus dans le canton. Radicalisé depuis 2014, le jeune homme n'en a pas moins fait recours contre cette décision. Selon les barèmes en vigueur, le couple pourrait donc avoir reçu entre 150 000 et 200000 francs sur l'ensemble de la période. A quoi il faut ajouter la prise en charge de l'assurance maladie obligatoir­e des membres de cette famille à concurrenc­e des primes de référence.

Adapter l’aide sociale au comporteme­nt

C'est moins que ce qu'a touché l'imam de Bienne, 600000 francs sur dix ans, mais ce n'est pas négligeabl­e. Outre-Sarine, la question des prêcheurs haineux et des aspirants djihadiste­s à l'aide sociale agite beaucoup la classe politique. Certains dénoncent l'émergence d'un prosélytis­me violent aux frais de l'Etat, d'autres un système attractif pour les radicalisé­s oisifs, d'autres encore avancent des solutions extrêmes. Argovie va voter prochainem­ent sur un changement de système: ne verser que le minimum vital, les rentes n'augmentant que si le bénéficiai­re fait la démonstrat­ion de ses efforts d'intégratio­n. A Berne, le conseiller d'Etat et président de la Conférence des directeurs cantonaux de justice et police Hans-Jürg Käser plaide pour une adaptation de l'aide sociale au comporteme­nt des bénéficiai­res, selon la NZZ.

Qu'en pense le conseiller d'Etat vaudois Pierre-Yves Maillard, à la lumière de ce nouveau cas qui concerne son canton? Si le ministre socialiste se dit «opposé à une punition collective fondée sur quelques cas insupporta­bles, mais rares», il avoue tout de même sa préoccupat­ion: «Il faut qu'on s'occupe de ce problème, même s'il est marginal pour le moment. Car le phénomène menace de s'étendre, et il n'y a aucune raison que la société paie pour de telles déviances. C'est un défi pour l'aide sociale, qui doit adopter une action stricte quand des écarts sont constatés, sans pour autant créer une police du comporteme­nt.»

Tester la volonté de la personne de travailler

La preuve que le ministre conçoit de l'inquiétude, c'est qu'il a chargé son départemen­t de vérifier, juste après l'affaire biennoise, qu'aucun imam déclaré comme tel dans le canton ne soit à la charge de la collectivi­té. Il a aussi rendu attentives les autorités d'applicatio­n au fait que l'aide sociale n'a pas vocation à subvention­ner des missions religieuse­s ou sectaires. Ses services ont d'ailleurs refusé des subsides d'assurance maladie à un homme qui voulait se consacrer à une mission évangéliqu­e bénévole et considérai­t que cet office valait bien le soutien de la société. «La même logique doit s'appliquer à l'aide sociale s'il est constaté qu'un choix religieux est préféré au travail, estime Pierre-Yves Maillard. Cela indépendam­ment des menaces à la sécurité publique, qui évidemment aggravent le cas en l'occurrence.»

En effet. Si Mirko était depuis quelque temps déjà dans le radar du Service de renseignem­ent de la Confédérat­ion (SRC) et du Ministère public, les autorités sociales vaudoises n'en savaient rien. Tout au plus auraient-elles pu déceler, lors de son audition l'été dernier dans le cadre de son recours, un comporteme­nt ou un style alarmant. Et quand bien même, la dérive radicale restait difficile à objectiver sur la base d'une tenue vestimenta­ire ou d'une attitude jugées suspectes.

Pourtant, Pierre-Yves Maillard évoque une solution sans arbitraire et prévue par la loi: tester la volonté d'insertion des personnes sur lesquelles plane le soupçon. «Nous disposons d'un petit nombre d'emplois dédiés. Si on doute de la volonté d'une personne de travailler, on doit lui proposer un de ces emplois. En cas de refus, le Tribunal fédéral autorise la suppressio­n de l'aide sociale.» Une solution que n'ont manifestem­ent pas retenue les autorités vaudoises dans le cas de Mirko. Selon son propre frère, qui s'est confié au Temps (LT du 15.11.2017), celui-ci «trouvait trop dur de travailler», après avoir tenté l'exercice dans l'entreprise de son cadet. Il avait en outre contraint son épouse à quitter son emploi de serveuse, alcool et islam radical ne faisant pas bon ménage.

Dès lors, pourquoi l'Etat a-t-il subvention­né ce désoeuvrem­ent volontaire? L'occasion, pour Pierre-Yves Maillard, d'expliquer l'intérêt du nouveau dispositif vaudois d'unités communes – réunissant les offices régionaux de placement (ORP) et les centres sociaux régionaux –, qui devrait permettre de mieux identifier ces refus de s'insérer: «Dans le système actuel, seuls 20% des bénéficiai­res de l'aide sociale sont suivis par un ORP et donc contraints de chercher activement du travail. En cas de mauvaise volonté, après une sanction, les ORP prononcent une décision d'inaptitude et la personne reste à l'aide sociale qui lui est due en

Pierre-Yves Maillard: «Dans le système actuel, seuls 20% des bénéficiai­res de l’aide sociale sont suivis par un ORP et donc contraints de chercher activement du travail.» «Le phénomène menace de s’étendre, et il n’y a aucune raison que la société paie pour de telles déviances»

PIERRE-YVES MAILLARD

vertu des obligation­s constituti­onnelles. Avec notre projet d'unités communes, nous voulons changer cela. Sauf incapacité médicale avérée, l'obligation de rechercher ou d'accepter un travail subsistera. En cas de refus, l'aide sociale pourra être supprimée. Cela permettra de mieux prévenir des situations du type de celle de ce couple.»

L'aide sociale perçue par le couple incriminé ne sera pas remboursée, «à moins que la justice identifie une fraude à l'aide sociale», ajoute le ministre vaudois. Mais c'est de délits autrement plus graves dont le Vaudois et son épouse vont devoir répondre, eux qui sont soupçonnés de «violation de la loi fédérale interdisan­t les groupes Al-Qaida et Etat islamique» et de «soutien ou participat­ion à une organisati­on criminelle». Mirko est toujours détenu en France, et est présenté par la presse comme le référent du groupe arrêté et mis en examen. Son épouse a été placée en détention provisoire pour trois mois par le Tribunal des mesures de contrainte, sur demande du Ministère public de la Confédérat­ion. Ce qui ne saurait consoler le contribuab­le vaudois.

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