En Hongrie, une clique calviniste pour changer le monde
En avril prochain, Viktor Orban sera triomphalement réélu à son poste de premier ministre. Au terme de trois mandats, dont deux successifs, la bête noire de Bruxelles reste plus appréciée que jamais par une majorité de Hongrois. Ses outrances contre l’Europe, les étrangers, le libéralisme, son admiration pour les hommes forts, les systèmes autoritaires, le conservatisme radical, tout cela n’entame en rien sa popularité. La raison en est simple: Viktor Orban incarne l’air du temps. Mieux, c’est un précurseur, un homme particulièrement doué pour la politique, comme Kaczynski en Pologne. Et ces leaders sont là pour durer.
Ce tableau, le philosophe et écrivain hongrois Gaspar Miklos Tamas la peint en début de semaine lors d’une intervention au Graduate Institute de Genève, avec une palette de couleurs de plus en plus sombres. Pour qui veut comprendre ce qui se passe en Europe centrale, il est urgent d’entendre cet ancien député issu des rangs de la gauche qui a siégé durant les années 1990 sur les mêmes bancs du parlement que les hommes qui dirigent aujourd’hui son pays.
Que dit-il? Tout d’abord, qu’il ne faut pas se tromper de cible: Viktor Orban n’est pas en train de réinstaurer une dictature totalitaire, de même qu’il n’est pas un idéologue nationaliste. Son pouvoir est d’un type particulier, informel, fluide, instinctif, laissant une grande part à l’improvisation. Il ne vise pas à renforcer l’Etat, mais s’appuie sur une clientèle privée, et cherche à recréer l’ancien système royal. Le petit groupe d’hommes – politiques ou entrepreneurs – dont il s’est entouré pour diriger le pays a la particularité d’être composé de calvinistes dans un pays majoritairement catholique.
Pour mieux contrôler le pays, Viktor Orban en affaiblit les institutions: parlement, justice, médias, universités, musées, archives sont marginalisés. Cette entreprise de délégitimisation de l’Etat crée une grande incertitude. Une incertitude qui s’ajoute à une anxiété plus générale face à l’avenir, au monde extérieur, à l’étranger. Ce nouvel autoritarisme tolère les élections, mais que valent des élections sans presse libre? La parole du premier ministre, relayée par les groupes de presse en main de ses oligarques, est désormais la seule audible en Hongrie, à l’exception de l’enclave de Budapest.
L’air du temps en Hongrie, explique Gaspar Miklos Tamas,
Ce nouvel autoritarisme tolère les élections, mais que valent des élections sans presse libre?
c’est se replonger dans la lecture d’Oswald Spengler, théoricien du déclin de l’Occident et de la révolution conservatrice avant l’avènement du nazisme (mouvement auquel il n’adhéra toutefois pas). Pour Viktor Orban, l’Occident est fini, la démocratie, le libéralisme sont voués à disparaître. L’avenir, ce sont des hommes comme lui, comme Donald Trump, comme Vladimir Poutine ou Xi Jinping. Sa haine, bien avant George Soros, est entièrement dirigée contre Angela Merkel et cette Allemagne qui incarne la décadence. Vient ensuite le pape François, tenu pour un gauchiste homosexuel…
Cette Hongrie de 2017 ressemble à l’Europe de l’entre-deux-guerres marquée par l’avènement de l’extrême droite. A quelques différences près: il n’y a pas de groupes de fanatiques dans les rues, on n’est pas emprisonné pour ses opinions et le soutien au leader est sincère. Cette Hongrie n’a rien d’exceptionnel, ajoute le philosophe, qui voit la même dynamique ailleurs en Europe et aux Etats-Unis, le triomphe de l’ethnicisme en étant un signe avant-coureur. «Toute ma jeunesse disparaît», expliquait mardi Gaspar Miklos Tamas, le jour de ses 69 ans, en évoquant les intellectuels occidentaux qui inspiraient les Hongrois sous la dictature communiste. «Et il n’y a plus rien pour les remplacer.»
▅