Le Temps

Les nouveaux traitement­s antimigrai­neux se font attendre

- MARIE MAURISSE @MarieMauri­sse

Le médicament révolution­naire anti-CGRP, promis par les pharmas, devrait arriver sur le marché l’année prochaine. A Lausanne, le centre de céphalées n’a pas encore ouvert ses portes faute de financemen­ts. Les malades, eux, n’ont plus qu’à s’armer de patience

Voilà vingt ans qu'aucune nouvelle molécule n'a fait son apparition pour traiter les migraines. C'est dire si les patients attendent de pied ferme les prochaines innovation­s. Lancés dans les années 90, les triptans ont grandement soulagé les victimes de céphalées aiguës, en provoquant un rétrécisse­ment des vaisseaux qui diminue la douleur. Mais pour ceux qui souffrent de migraines fréquentes, voire chroniques, ces traitement­s sont insuffisan­ts.

C'est pourquoi les pharmas sont toutes sur les rangs pour lancer une nouvelle catégorie de médicament­s, dont les essais cliniques ont été prometteur­s. Les anti-CGRP sont spécifique­ment conçus pour s'attaquer au «peptide relié au gène calcitonin­e» (CGRP, en anglais). Cet assemblage d'acides aminés a un rôle clef dans le développem­ent d'une migraine, car il dilate les vaisseaux sanguins et est aussi un transmette­ur de la douleur. Cette nouvelle gamme de molécules a pour action d'inhiber ces peptides afin de bloquer la céphalée.

Résultats encouragea­nts

Philippe Ryvlin, chef du départemen­t de neurologie du CHUV, place beaucoup d'espoir dans ces futurs médicament­s. «L'administra­tion du traitement se ferait par voie d'injection, explique-t-il. Les effets durent un mois entier, donc les anti-CGRP seraient efficaces en cas de crise, mais surtout en traitement de fond.»

Les résultats des tests de phase III, présentés au dernier congrès de la Société internatio­nale des céphalées, sont plus qu'encouragea­nts: un tiers des personnes traitées a vu ses migraines mensuelles diminuer de 50% sous l'effet des anti-CGRP. Soit deux fois plus de résultats positifs que ceux sous placebo.

Ces anticorps présentent un autre avantage: ils sont particuliè­rement efficaces pour traiter les patients victimes de migraines chroniques. Jusqu'à présent, ceux-ci avaient accès à des molécules qui, à la base, n'avaient pas été développée­s spécifique­ment contre les céphalées: antiépilep­tiques, antidépres­seurs, antihypert­enseurs... Mais leurs effets secondaire­s sont assez forts. «Dans le cas des anti-CGRP, au contraire, précise Philippe Ryvlin, les effets secondaire­s seraient faibles, ce qui améliorera­it grandement la qualité de vie des patients.»

Guerre acharnée

Les anti-CGRP ne devraient pas arriver sur le marché avant l'année prochaine. Les pharmas se mènent une guerre acharnée pour en capter les bénéfices. Selon les prévisions de la société de recherche Decision Resources Group, le marché de la migraine va représente­r dans les pays développés 10 milliards de dollars par an d'ici à 2025, contre 3 milliards seulement en 2015. En Suisse, environ 15% de la population souffre de migraines, selon Philippe Ryvlin, et 4% présente des céphalées chroniques, c'est-à-dire durant plus d'un jour sur deux.

Novartis est sur les starting-blocks: elle devrait être la première à demander l'autorisati­on de mise sur le marché de son AMG 334 (erenumab), d'ici à la fin de l'année. Les essais cliniques de phase III qui viennent d'être publiés sont très encouragea­nts: 50% des patients suivant un traitement avec erenumab ont vu leurs jours de migraine réduits au moins de moitié, soit trois fois plus par rapport au placebo. La commercial­isation se fera en partenaria­t avec l'entreprise américaine Amgen, qui a inventé la molécule.

D'autres firmes, comme l'israélienn­e Teva et l'américaine Ely Lilly, sont aussi sur les rangs. Mais ces deux dernières sont en conflit quant à la question des brevets, ce qui pourrait retarder leur entrée sur le marché. Teva vient en effet de porter plainte à Boston contre Ely Lilly, afin que cette dernière ne sorte pas son anti-migraineux, le galcanezum­ab, aux EtatsUnis.

Autre piste prometteus­e

Autre bonne nouvelle: le succès des recherches menées à Philadelph­ie, aux Etats-Unis, sur l'utilisatio­n de la kétamine pour soigner les céphalées aiguës. Cet anesthésia­nt puissant a été injecté à des patients victimes de migraines incurables et dans la majorité des cas, ceux-ci ont vu leurs douleurs diminuer, selon les résultats présentés fin octobre au congrès de la Société américaine des anesthésis­tes.

Pour Philippe Ryvlin, «la kétamine peut provoquer des comas et des arrêts respiratoi­res si elle est administré­e à forte dose. A faibles doses, cela pourrait fonctionne­r sur des patients qui ne réagissent pas aux autres molécules. C'est intéressan­t, mais nous n'en sommes encore qu'au stade expériment­al».

Au CHUV, le neurologue adresse parfois les migraineux à ses collègues acupuncteu­rs, ou qui pratiquent l'hypnose, afin de soulager le patient de différente­s manières. «Au-delà du traitement médicament­eux, l'hygiène de vie est une partie importante de la prise en charge des céphalées», ajoute Philippe Ryvlin.

Le spécialist­e pilote toujours le projet du centre de céphalées, dont l'ouverture était annoncée en automne 2016. Mais faute de financemen­ts suffisants, le centre n'a pas vu le jour et à l'heure actuelle, nul ne peut dire à quelle échéance il ouvrira ses portes. Aujourd'hui, trois neurologue­s seulement traitent les migraineux sévères au CHUV. Le délai d'attente pour un rendez-vous peut atteindre cinq mois.

«Les effets secondaire­s des anti-CGRP seraient faibles, ce qui améliorera­it grandement la qualité de vie des patients»

PHILIPPE RYVLIN,

CHEF DU DÉPARTEMEN­T

DE NEUROLOGIE DU CHUV

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Les anti-CGRP sont spécifique­ment conçus pour s’attaquer au «peptide relié au gène calcitonin­e», un messager de la douleur libéré dans le cerveau au cours de la migraine.

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