Les nouveaux traitements antimigraineux se font attendre
Le médicament révolutionnaire anti-CGRP, promis par les pharmas, devrait arriver sur le marché l’année prochaine. A Lausanne, le centre de céphalées n’a pas encore ouvert ses portes faute de financements. Les malades, eux, n’ont plus qu’à s’armer de patience
Voilà vingt ans qu'aucune nouvelle molécule n'a fait son apparition pour traiter les migraines. C'est dire si les patients attendent de pied ferme les prochaines innovations. Lancés dans les années 90, les triptans ont grandement soulagé les victimes de céphalées aiguës, en provoquant un rétrécissement des vaisseaux qui diminue la douleur. Mais pour ceux qui souffrent de migraines fréquentes, voire chroniques, ces traitements sont insuffisants.
C'est pourquoi les pharmas sont toutes sur les rangs pour lancer une nouvelle catégorie de médicaments, dont les essais cliniques ont été prometteurs. Les anti-CGRP sont spécifiquement conçus pour s'attaquer au «peptide relié au gène calcitonine» (CGRP, en anglais). Cet assemblage d'acides aminés a un rôle clef dans le développement d'une migraine, car il dilate les vaisseaux sanguins et est aussi un transmetteur de la douleur. Cette nouvelle gamme de molécules a pour action d'inhiber ces peptides afin de bloquer la céphalée.
Résultats encourageants
Philippe Ryvlin, chef du département de neurologie du CHUV, place beaucoup d'espoir dans ces futurs médicaments. «L'administration du traitement se ferait par voie d'injection, explique-t-il. Les effets durent un mois entier, donc les anti-CGRP seraient efficaces en cas de crise, mais surtout en traitement de fond.»
Les résultats des tests de phase III, présentés au dernier congrès de la Société internationale des céphalées, sont plus qu'encourageants: un tiers des personnes traitées a vu ses migraines mensuelles diminuer de 50% sous l'effet des anti-CGRP. Soit deux fois plus de résultats positifs que ceux sous placebo.
Ces anticorps présentent un autre avantage: ils sont particulièrement efficaces pour traiter les patients victimes de migraines chroniques. Jusqu'à présent, ceux-ci avaient accès à des molécules qui, à la base, n'avaient pas été développées spécifiquement contre les céphalées: antiépileptiques, antidépresseurs, antihypertenseurs... Mais leurs effets secondaires sont assez forts. «Dans le cas des anti-CGRP, au contraire, précise Philippe Ryvlin, les effets secondaires seraient faibles, ce qui améliorerait grandement la qualité de vie des patients.»
Guerre acharnée
Les anti-CGRP ne devraient pas arriver sur le marché avant l'année prochaine. Les pharmas se mènent une guerre acharnée pour en capter les bénéfices. Selon les prévisions de la société de recherche Decision Resources Group, le marché de la migraine va représenter dans les pays développés 10 milliards de dollars par an d'ici à 2025, contre 3 milliards seulement en 2015. En Suisse, environ 15% de la population souffre de migraines, selon Philippe Ryvlin, et 4% présente des céphalées chroniques, c'est-à-dire durant plus d'un jour sur deux.
Novartis est sur les starting-blocks: elle devrait être la première à demander l'autorisation de mise sur le marché de son AMG 334 (erenumab), d'ici à la fin de l'année. Les essais cliniques de phase III qui viennent d'être publiés sont très encourageants: 50% des patients suivant un traitement avec erenumab ont vu leurs jours de migraine réduits au moins de moitié, soit trois fois plus par rapport au placebo. La commercialisation se fera en partenariat avec l'entreprise américaine Amgen, qui a inventé la molécule.
D'autres firmes, comme l'israélienne Teva et l'américaine Ely Lilly, sont aussi sur les rangs. Mais ces deux dernières sont en conflit quant à la question des brevets, ce qui pourrait retarder leur entrée sur le marché. Teva vient en effet de porter plainte à Boston contre Ely Lilly, afin que cette dernière ne sorte pas son anti-migraineux, le galcanezumab, aux EtatsUnis.
Autre piste prometteuse
Autre bonne nouvelle: le succès des recherches menées à Philadelphie, aux Etats-Unis, sur l'utilisation de la kétamine pour soigner les céphalées aiguës. Cet anesthésiant puissant a été injecté à des patients victimes de migraines incurables et dans la majorité des cas, ceux-ci ont vu leurs douleurs diminuer, selon les résultats présentés fin octobre au congrès de la Société américaine des anesthésistes.
Pour Philippe Ryvlin, «la kétamine peut provoquer des comas et des arrêts respiratoires si elle est administrée à forte dose. A faibles doses, cela pourrait fonctionner sur des patients qui ne réagissent pas aux autres molécules. C'est intéressant, mais nous n'en sommes encore qu'au stade expérimental».
Au CHUV, le neurologue adresse parfois les migraineux à ses collègues acupuncteurs, ou qui pratiquent l'hypnose, afin de soulager le patient de différentes manières. «Au-delà du traitement médicamenteux, l'hygiène de vie est une partie importante de la prise en charge des céphalées», ajoute Philippe Ryvlin.
Le spécialiste pilote toujours le projet du centre de céphalées, dont l'ouverture était annoncée en automne 2016. Mais faute de financements suffisants, le centre n'a pas vu le jour et à l'heure actuelle, nul ne peut dire à quelle échéance il ouvrira ses portes. Aujourd'hui, trois neurologues seulement traitent les migraineux sévères au CHUV. Le délai d'attente pour un rendez-vous peut atteindre cinq mois.
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«Les effets secondaires des anti-CGRP seraient faibles, ce qui améliorerait grandement la qualité de vie des patients»
PHILIPPE RYVLIN,
CHEF DU DÉPARTEMENT
DE NEUROLOGIE DU CHUV