LA COURSE DU POUSSIN
Claude Ponti publie un joli pavé, mettant en scène un poussin bondissant en avant et à rebours
C’est un livre à deux portes mais mille entrées, un livre éminemment «pontiesque», hormis son format, étonnant: petit mais costaud, autrement dit un très épais album à l’italienne. Si épais que la première porte évoquée se trouve imprimée sur son dos, la seconde au beau milieu de ses pages, là où celles de gauche (dont les chiffres croissent) rencontrent celles de droite (qui s’égrènent à rebours).
Vous êtes déjà un peu perdu? C’est normal, c’est du Claude Ponti et vos enfants l’ont toujours mieux compris que vous – que nous, les adultes.
La course qui donne son titre à cet opus de l’automne 2017, et qu’effec- tuent un, deux, dix poussins, a lieu sous les yeux passablement ébahis du lecteur: dans un sens, dans un autre, à l’endroit et à l’envers, en haut et en bas, suivant les aspérités du terrain, sautant, rebondissant, déchiffrant, traversant des ciels, des déserts, des tuyaux, des forêts; testant follement la matérialité de la page et faisant toujours le lien entre l’écriture et la vie, la fiction et la réalité, le faux et le vrai.
Rien n’arrête un poussin qui court, ni les effets de miroir déstabilisants, ni les panneaux indicateurs absurdes, pas même les retournements de situation et de perspective, et encore moins les divers monstres et obstacles de toutes natures! Et c’est avec un sentiment de vertige et de plaisir que le jeune lecteur retrouvera ici des personnages croisés ailleurs, là les jeux de mots et les inventions verbales dont Ponti a le secret, et ces objets «habités», ces végétaux anthropomorphes, et même une réflexion sur la page en train de naître: poussins crayonnés, ébauchés, colorés, mots-poussins, onomatopées chuchotées ou hurlées, ponctuation plus ou moins affolée, émoticones balbutiants.
Et partout, une si belle énergie, une si grande bonne humeur, comme si cette course, au fond, était un prétexte à célébrer la vie, tout simplement, au long de cet album éclatant glorifiant les artifices de l’art.
Claude Ponti, qui, livre après livre depuis trente ans, a proposé aux enfants tant de maisons, tant de refuges, n’en invente ici pas d’autres que celui de la chose écrite et dessinée, cent fois parcourue, toujours réinventée.
Et l’histoire, me demanderez-vous? Il n’y en a pas. Quelle importance…