La paternité est un sujet politique
Dans la Rome antique, le chef de famille soulevait le nouveau-né vers le ciel pour le consacrer comme son propre enfant. Au XXIe siècle, l’homme moderne aurait-il besoin de s’incliner plus souvent devant une table à langer pour se sentir davantage père?
Portés par ce désir d’une paternité plus épanouie, les deux pères romands que Le Temps a rencontrés ont choisi de faire une pause de quelques mois dans leur vie professionnelle pour profiter pleinement des bonheurs (et des servitudes) du pouponnage. Les réactions indignées lors du rejet par le Conseil fédéral de l’initiative «Pour un congé de paternité raisonnable» ont mis plus largement en lumière les aspirations de nombreux hommes à s’engager à égalité avec leur compagne – ou leur compagnon – dans la folle aventure des couches-culottes et des gigoteuses.
Certes, on peut ironiser sur le culte actuel de la paternité heureuse – un enfant peut être aussi malheureusement source de grande souffrance au sein d’un couple – et sur l’imaginaire du papa poule superstar: les rayons des librairies romandes regorgent de manuels pour devenir le géniteur le plus câlin, le plus complice, ou le plus adroit dans le pliage d’un lit parapluie – invention diabolique – ou d’une écharpe de portage.
Mais l’erreur serait de considérer la paternité comme un sujet à la marge du débat public. C’est au contraire un objet hautement politique, dont l’histoire est toujours entrée en résonance avec les transformations de la société tout entière. Jusqu’au XVIIIe siècle, le pater familias régnait en maître dans une société hiérarchisée et sédentaire. La révolution industrielle du XIXe siècle et l’exode rural qui l’a accompagnée ont profondément bouleversé les structures familiales – et ont affaibli les prérogatives du père dans sa mission éducative, souvent déléguée à la puissance publique. Aujourd’hui, dans nos sociétés surconnectées et fracturées, le besoin de bâtir un lien parental profond semble devenu essentiel pour équilibrer nos vies professionnelles trop souvent épuisantes.
Le rôle assigné au père est aussi un révélateur des inégalités entre hommes et femmes qui parcourent la société suisse. Un récent rapport de l’OCDE pointait comme une des faiblesses de la compétitivité helvétique le faible taux d’activité des femmes, souvent contraintes – par «tradition» et faute de structures adaptées – de sacrifier leur vie professionnelle en prenant un temps partiel pour s’occuper des enfants. Penser la place de l’homme au sein du foyer, hors des schémas préétablis, pour en faire un véritable levier de transformation sociale: voilà une mission de choix pour les hommes politiques dans les années à venir, s’ils ne veulent pas passer pour des patriarches venus d’un autre temps. Pour y réfléchir, la table à langer sera toujours un lieu inspirant.
Le rôle assigné au père est un révélateur des inégalités entre hommes et femmes