«Le Vatican compte sur les banques helvétiques amies»
A l’ère de la transparence, l’auteur d’un ouvrage sur des «affaires» du Vatican estime que les liens entre le système bancaire suisse et le petit Etat restent opaques
INTERVIEW
Avec Péché originel*, Gianluigi Nuzzi signe son quatrième livre enquête sur des scandales liés au Vatican. Le journaliste italien y fait des révélations choquantes sur les tractations secrètes entre le petit Etat et la justice italienne concernant la disparition non élucidée en 1983 de la fille d’un employé de la théocratie, les comptes courants de la banque du pape, des abus sexuels et des fêtes homosexuelles entre des membres du clergé. Le Temps a interrogé Gianluigi Nuzzi sur les liens entre l’Etat confetti et la Suisse. A l’heure de la transparence, les flux d’argent d’origine inconnue, et douteuse, transitant entre le Vatican, Lugano, Genève et Zurich sont toujours une réalité? Selon moi, oui. Je ne crois pas que les rapports entre le Vatican et le système bancaire suisse sous Benoît XVI et au début du pontificat de François aient subi des changements substantiels, malgré la bonne volonté des deux pontifes. Certes, une «révolution» en matière de transparence et des accords internationaux sont survenus ces dernières années, mais je doute que l’alliance entre le Vatican et les banques suisses ait été affectée. Celles-ci demeurent une référence importante pour le Vatican. L’Institut pour les oeuvres de religion (IOR), la banque du Vatican, n’a pas de filiale à l’étranger, elle continue à compter sur les banques helvétiques amies pour ses opérations dans d’autres pays.
Vos sources vous le confirment? L’avocat italien Francesco De Pasquale, appelé à mettre en place les normes antirecyclage d’argent sale à l’IOR entre 2011 et 2014, comme directeur de l’Autorité d’information financière du Saint-Siège, puis démis comme membre du conseil directif, a soulevé dans une entrevue pour ce livre qu’aucun organisme européen ou international ne contrôle si les normes antirecyclage sont effectivement implantées à l’IOR. Quant à l’Allemand Ernst Von Freyberg, nommé président de la IOR en 2013 (jusqu’en 2014) par Benoît XVI, et qui a suivi les travaux de la commission d’enquête sur la IOR, souhaitée par le pape François, a rapporté que le recyclage est toujours d’actualité.
Dans votre livre, vous parlez d’une certaine mère Tekla qui se rendait régulièrement dans une banque de Lugano, qui est-ce? Il s’agit d’une religieuse, connue comme mère Tekla, qui depuis la congrégation des Brigittines à Lugano, visitait la banque au centre-ville avec d’énormes sacoches remplies d’argent. Mes sources, des banquiers de Lugano, l’ont reconnue sur des photos comme étant la mère Tekla Famiglietti, une religieuse très influente auprès du Vatican. Comme, en plus, Tekla est un nom plutôt rare, je pense qu’il s’agit de la même personne, sans toutefois en être sûr à 100%. Tekla Famiglietti a été à la tête de l’ordre des Brigittines entre 1977 et 2016. Elle a eu des liens avec l’élite politique italienne et les puissants du monde, comme Fidel Castro, et elle était très proche de Jean-Paul II. On m’a raconté qu’elle ne comptait jamais elle-même l’argent, laissant aux employés de la banque suisse ce travail «sale».
▅ * Péché originel: chantages, violences et mensonges, le Pape François seul contre la corruption, Gianluigi Nuzzi, Ed. Flammarion, 2017.