«Ceux qui fraudent avec des ICO seront stoppés»
La folie du bitcoin, l’enquête sur l’ex-patron de Raiffeisen, les Paradise Papers: le directeur de la Finma, Mark Branson, revient sur les dossiers chauds du moment. Et met en garde ceux qui voudraient profiter de la technologie pour gagner de l’argent il
Comment la Finma peut-elle encadrer les nombreuses levées de fonds en cryptomonnaies (ICO) qui sont lancées chaque jour en Suisse? Avec quel moyen et quels objectifs? Les réponses de Mark Branson, le directeur de l’Autorité de surveillance des marchés financiers.
Où en est l’enquête de la Finma sur Pierin Vincenz, l’ex-patron de Raiffeisen? A-t-il vraiment détenu des parts dans des entreprises que la banque s’apprêtait à racheter? Et comment la Finma n’a-t-elle rien vu? Il ne serait pas juste et équitable de faire des commentaires sur le contenu de procédures en cours. Il faudra attendre la fin de l’enquête.
S’agit-il de la première procédure à l’égard d’une personne de ce niveau de direction de la part de la Finma? Non, nous menons davantage de procédures contre les individus depuis quelques années, car nous avons décidé de nous focaliser pas seulement sur les institutions, mais aussi sur la responsabilité des actes répréhensibles dans les institutions. Si quelque chose se passe mal dans une institution, souvent un individu en est à l’origine. Mener des procédures contre les individus est une façon ciblée de remonter à la source du problème. Nous avons conclu l’an dernier à peu près autant de procédures contre des individus que contre des institutions, à savoir 41 contre 44. Quant au niveau de hiérarchie, nous allons là où les faits nous amènent.
Ne faudrait-il pas que le public soit au courant, s’agissant d’actes répréhensibles de directeurs généraux? La loi prévoit que nous ne devons pas communiquer à moins qu’il y ait un intérêt particulier de surveillance à le faire. C’était le cas par exemple avec le scandale 1MDB où les sanctions que nous avons prises étaient parmi les plus sévères que nous pouvions prendre.
Quand il s’agit du directeur général d’une banque systémique comme Raiffeisen, c’est aussi l’occasion de faire un exemple. Il ne s’agit pas de faire des exemples. Nous devons avant tout protéger la réputation de la place financière. Lorsqu’une affaire d’une certaine envergure est publique, il est également important que les mesures prises le soient aussi, de sorte de rendre transparente la façon dont l’affaire a été traitée et résolue. Plus le problème est important et sérieux, plus nous avons le besoin de communiquer.
La publication des Paradise Papers a-t-elle conduit à des enquêtes de la Finma? Chaque fois que de telles données sont publiées, nous les étudions. Il ne nous semble pas, pour l’instant, que les banques suisses soient très exposées cette fois. Des centres offshore sont plutôt concernés. Dans le dossier des Panama Papers, nous avions examiné une vingtaine de cas pour, finalement, lancer une procédure «d’enforcement» [d’application de la loi, ndlr]. De telles publications sont une source parmi beaucoup d’autres.
Des banques suisses sont régulièrement poursuivies et parfois condamnées à l’étranger mais la Finma ne dit rien. Comment faut-il interpréter ce silence? Nous devons regarder ces jugements à travers le prisme de la loi suisse. On ne peut pas automatiquement conclure que quelqu’un qui aurait transgressé une loi étrangère a aussi violé une loi suisse. Dans le cas de la gestion de fortune transfrontalière par exemple, on ne peut pas condamner automatiquement quelqu’un qui aurait conduit un modèle d’affaires légal en Suisse. Par contre, on peut se demander s’il était conduit d’une façon suffisamment imprudente pour que cela ait pu mettre la banque ou sa réputation en sérieux danger. Mais replonger dans l’histoire de la banque suisse et sanctionner des individus ou des établissements seulement pour un modèle d’affaires qui était alors tout à fait accepté ne serait pas juste.
Dans la frénésie actuelle autour du bitcoin, combien de collaborateurs de la Finma sont chargés de surveiller l’activité financière liée aux cryptomonnaies, dont les ICO (les «initial coin offerings», des levées de fonds opérées en bitcoins et autres monnaies virtuelles)? Nous mobilisons nos ressources existantes davantage vers ces activités virtuelles, qui font l’objet d’un fort engouement. L’innovation liée à la blockchain donne lieu à des projets sérieux qui rencontreront le succès, d’autres non. Et d’autres encore sont potentiellement frauduleux. Notre travail consiste à distinguer l’innovation qui mérite d’avoir la chance de réussir de celle qui est frauduleuse. Nous avons fermé un projet de cryptomonnaie qui ne reposait sur rien et sommes en train d’en examiner d’autres. Ceux qui cherchent à gagner rapidement de l’argent de manière illégale seront stoppés. Les investisseurs doivent aussi être très prudents.
Tous les acteurs des cryptomonnaies auront-ils besoin d’une autorisation de la Finma? Tout le monde n’aura pas besoin d’une licence Finma, mais certains acteurs devront être surveillés au titre de la prévention du blanchiment, d’autres entreront dans le champ de la loi sur les fonds de placement ou sur les banques ou sur les valeurs mobilières. La Suisse s’est positionnée en tant que hub des activités basées sur la blockchain. Ce succès se poursuivra si elle accueille des projets innovants et sérieux.
Quelle proportion d’ICO pose problème? Il est trop tôt pour le dire. Analysez-vous systématiquement les ICO lancées en Suisse? Nous observons systématiquement le secteur et nous approfondissons les cas qui nous semblent potentiellement problématiques. Avec l’expérience, nous allons développer une pratique qui sera connue par les acteurs de cette industrie. La Finma est-elle suffisamment équipée pour surveiller ces nouvelles activités numériques? De nouvelles lois sont-elles nécessaires? Nous disposons du personnel et des outils suffisants pour suivre et comprendre les projets, pour les évaluer ou même les fermer s’il le faut. C’est un défi pour la Finma car nous devons être aussi pointus sur des questions de technologie et de modèles d’affaires nouveaux qu’en matière de finance et de droit.
Les futures lois sur les services et les établissements financiers, les LSFin et LEFin, assureront que l’ensemble des intermédiaires financiers seront surveillés en Suisse à l’avenir. Pensez-vous que c’est une bonne chose? Il est positif pour la place financière que tous les secteurs importants soient soumis à certains standards. Nous sommes l’un des seuls pays dans lesquels le secteur des gérants indépendants n’est pas régulé. Si ce secteur veut un accès au marché étranger, la réglementation est inévitable. En outre, il est en concurrence avec d’autres intermédiaires financiers, qui eux sont régulés. La question est de déterminer quelle densité doit avoir cette réglementation, sachant que nous ne voulons pas de bureaucratie inutile.
Mais vous devez aussi montrer que la surveillance suisse est équivalente à celle d’autres juridictions, notamment
pour accéder au marché. Exactement, et cela amène un dilemme, bien illustré par la LSFin et la LEFin. Ces lois sont des homologues à la directive européenne MiFID qui, du point de vue de la philosophie de la réglementation suisse, a l’air d’un monstre. La question est: quelle part de ce monstre devons-nous adopter afin d’avoir accès à ce marché extraordinairement important? C’est une question très difficile et qui relève de la politique. Seul le gouvernement et le parlement peuvent décider, pas la Finma.
Le niveau de densité choisi, justement, aura un impact direct sur le nombre de gérants de fortune indépendants qui existeront. Si les contraintes sont trop lourdes, certains mettront fin à leur activité ou fusionneront. Combien de gérants de fortune indépendants voulez-vous? Nous n’avons aucun objectif chiffré de ce genre. Nous mettrons en oeuvre la réglementation que créera le parlement et le marché décidera combien d’acteurs de ce type continueront à opérer. L’expérience d’autres juridictions qui ont effectué une démarche similaire montre que tous les acteurs ne veulent pas faire le saut vers un monde régulé. Certains arrivent en fin de vie, d’autres fusionnent afin d’être profitables dans le nouveau modèle. Etre régulé apporte des coûts mais aussi des atouts, comme de pouvoir mettre en avant le fait qu’on est surveillé. Ce secteur devrait être vu comme étant aussi sérieux et de même qualité que le reste du secteur financier suisse.
Etes-vous satisfait du rôle que jouera la Finma dans la future supervision des gérants indépendants? Des organismes seront créés pour assurer la surveillance au quotidien, la Finma surveillera ces organismes et délivrera les autorisations d’exercer aux gérants. Nous jouerons notre rôle dans cette configuration et nous la ferons fonctionner.
Le tribunal administratif fédéral a jugé le 15 novembre que la Finma ne s’était pas montrée impartiale dans son traitement du dossier de l’assureur vie romand Zenith Vie. Qu’en pensez-vous? La Finma va-t-elle modifier ses procédures? En effet, le double rôle imposé à la Finma par la loi peut être critiqué: notre autorité doit décider en première instance sur ses procédures ainsi que sur les requêtes en responsabilité de l’Etat. Je comprends cette critique, parce qu’une indépendance complète n’est pas possible dans cette constellation. Le tribunal a pourtant décidé que nous pouvons faire plus pour améliorer une prise de décision indépendante. La Finma accepte la décision et va adapter sa pratique.
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«La loi prévoit que nous ne devons pas communiquer à moins qu’il y ait un intérêt particulier de surveillance à le faire»