La Catalogne, une hésitation européenne
Quels que soient les résultats des élections régionales de jeudi en Catalogne, l’Union européenne ne veut pas d’autre interlocuteur que le gouvernement de Madrid
Hier, les Catalans devaient renouveler leurs autorités régionales dans un scrutin marqué par l’opposition irréductible entre indépendantistes et unionistes. Mais quel que soit le résultat des urnes, l’Union européenne ne devrait pas cesser de voir en Madrid le seul interlocuteur valable.
Certains ont, jusqu’au dernier moment, espéré une ouverture. Mais à Bruxelles, au sein de la Commission européenne comme du Conseil (l’institution représentant les 28 Etats membres), le front pro-Madrid a tenu bon.
Alors que les électeurs catalans ont été très nombreux à se déplacer jeudi pour aller voter aux élections régionales convoquées par le premier ministre conservateur espagnol Mariano Rajoy, le camp indépendantiste est assuré de buter contre un mur du côté de l’Union européenne (UE). «L’Union gardera un seul interlocuteur: le gouvernement du Royaume d’Espagne qui démontre par ce scrutin son caractère démocratique», affirme un diplomate européen proche du président du Conseil, le polonais Donald Tusk. Et ce, même si la donne électorale bascule encore plus en faveur des partis nationalistes. Des formations qui, lors des élections de 2015, avaient
«En Belgique, nous avons résolu nos problèmes en parlant, en négociant et en trouvant nous-mêmes la solution»
GUY VERHOFSTADT,
ANCIEN PREMIER MINISTRE BELGE
remporté 83 sièges sur 135, face aux trois formations opposées à toute forme de sécession, le Parti populaire de Rajoy (11 sièges), le Parti socialiste (16 sièges) et les centristes de Ciudadanos (25 sièges).
Une disruption autoritaire
Dire que l’UE reste unie derrière Madrid ne signifie pas que l’attitude de Mariano Rajoy a, jusque-là, fait l’unanimité. Au Parlement européen notamment, plusieurs voix se sont élevées pour dénoncer la disruption autoritaire et policière du référendum illégal organisé par la Généralité de Catalogne le 1er octobre.
L’ancien premier ministre belge Guy Verhofstadt, président du groupe libéral au Parlement européen et originaire de la Flandre dominée aujourd’hui par les nationalistes, a d’ailleurs mené campagne pour qu’une discussion ait lieu, en Espagne, sur une possible solution fédérale, fidèle à ses déclarations post-référendum à Libération. «C’est une question de politique intérieure espagnole, avait-il affirmé, avant que l’ex-président de la Généralité catalane, Carlos Puigdemont, choisisse de s’installer à Bruxelles, où il reste réfugié. Comme Flamand, je peux le dire aisément: lors de nos tensions communautaires entre Flamands et francophones, des voix se sont fait entendre pour que l’UE intervienne. Mais personne en Belgique n’a trouvé que c’était une bonne idée. Nous avons résolu nos problèmes en parlant, en négociant, en trouvant des solutions. Et la solution a été de créer un Etat fédéral et des régions disposant de larges compétences. En Espagne, il faut faire la même chose, créer un Etat fédéral.»
Personne, en revanche, ne juge opportun d’ouvrir à Bruxelles une brèche catalane. La pression mise sur les institutions par le Brexit britannique, la montée des tensions avec la Pologne (contre laquelle la Commission a activé jeudi la procédure de l’article 7 des traités prévoyant une éventuelle suspension des droits de vote), et surtout l’hostilité délibérée de plusieurs pays membres à un «précédent catalan» pèsent pour laisser Madrid et Barcelone face à face.
Des discussions verrouillées
A l’Est, la Roumanie aux prises avec sa minorité hongroise (6,5% de la population du pays, soit 1,2 million contre 5,5 millions de Catalans) refuse toute remise en cause des frontières. Le Danemark redoute un impact sur le vote attendu aux îles Féroé, où la population insulaire se prononcera sur son droit à l’autodétermination le 25 avril 2018. Du coté des grands pays, la France – où les nationalistes corses viennent de remporter les élections régionales des 3 et 10 décembre avec 41 sièges sur 63, et alors qu’un référendum d’autodétermination doit être organisé en novembre 2018 en Nouvelle-Calédonie – verrouille aussi les discussions. «L’heure est aux autonomies, pas aux indépendances. Il faut savoir en tirer les leçons», reconnaissait, en octobre, l’ancien député européen corse François Alfonsi. Une leçon renforcée par le vote de la Lombardie et de la Vénétie, les deux riches régions d’Italie qui, le 23 octobre, ont opté à plus de 80% pour un renforcement de leurs prérogatives lors d’un référendum consultatif.
Que peut-il dès lors se passer au sein des institutions communautaires, au lendemain du scrutin catalan? Les deux irréductibles adversaires ibériques tiennent malheureusement la réponse entre leurs mains. Le premier, Mariano Rajoy, verra sa marge de manoeuvre et sa légitimité considérablement réduite en cas de large victoire des nationalistes. Au point que beaucoup, à Bruxelles, jugeraient alors indispensable un changement de leadership en Espagne. Idem pour le second, Carles Puigdemont, toujours réfugié en Belgique, dont le sort politique dépend aussi des urnes. Confidence d’un ex-commissaire européen: «L’impasse indépendantiste cache un autre malaise: celui que suscite une classe politique espagnole de plus en plus éclatée, d’où aucun leader d’envergure ne semble pouvoir émerger.»
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