Grande cuisine sur petit écran
Quatre restaurants, cinq pâtisseries, deux chocolateries et des émissions de télévision: Cyril Lignac, le célèbre chef aveyronnais, a plusieurs casseroles sur le feu. Pour le plus grand bonheur des amateurs de bonne chère. Sa recette? «Ce n’est pas l’ambition qui dicte ma vie, c’est le plaisir et la passion.»
Rencontre avec le célèbre chef aveyronnais à l’accent chantant, qui partage son temps entre ses restaurants, ses pâtisseries et ses émissions de télévision
Avec une vue imprenable sur les cuisines de son restaurant parisien Le Quinzième, Cyril Lignac termine de boutonner le col de sa veste de cuisine. Le chef au 474 000 abonnés sur Instagram passe par les fourneaux, parle à son second, goûte une sauce et prend la peine de saluer chaque membre de sa brigade et de son équipe de salle avant de passer à table. Cyril Lignac prend du plaisir à faire plaisir, et ça se sent. A un tournant de sa vie d’entrepreneur, celui qui cassa les codes de la cuisine à la télévision reçoit à sa table d’hôte autour d’un déjeuner, dans une ambiance feutrée et détendue pour un menu biographique.
On le lance donc sur sa jeunesse en croquant dans une chips de crevette accompagnée d’une crème à l’estragon, d’un tartare de boeuf rehaussé au wasabi et d’une langoustine petits pois. Cyril Lignac a grandi en France dans la campagne aveyronnaise, à quelques kilomètres de Montpellier et de Toulouse. «Je viens d’une génération de cuisiniers où les mères de famille avaient une occupation professionnelle et peu de temps pour préparer à manger.» A l’occasion de repas familiaux, le jeune Cyril comprend que la cuisine maternelle suscite chez les convives une certaine bienveillance. «Il y a un aspect psychologique dans tout cela. J’étais mauvais élève et me faisais sermonner régulièrement; j’ai senti à travers la préparation culinaire une certaine forme de reconnaissance. Je me suis dit que les gens allaient m’aimer si je devenais cuisinier.»
L’APPEL DE PARIS
Son diplôme de l’Ecole hôtelière et 500 francs français en poche, il part à la découverte de son premier menu dégustation au restaurant du Vieux-Pont à Belcastel chez la famille Fagegaltier. C’est le déclic qui va le pousser à embrasser la haute gastronomie. «Même s’il faut connaître les bases du métier, je me suis rendu compte que la cuisine représentait bien plus que le simple poulet chasseur ou la quiche lorraine qu’on nous enseignait en apprentissage.» Son service militaire achevé, le chef met ensuite le cap sur la capitale. «Pour moi, Paris, c’était mon rêve américain. Un peu comme si je partais de rien et que je posais mes valises à New York sans connaître personne. J’ai dû faire ma place.»
Alain Passard l’accueille. Le chef triplement étoilé est en pleine cogitation culinaire. Ne vient-il pas de délaisser la viande pour une cuisine 100% légumes? «C’était une véritable révolution pour l’époque», observe Cyril Lignac tout en terminant sa cuillère de tartare de langoustine et salicorne agrémentée d’une émulsion dashi. «Malheureusement, je n’y suis resté qu’une année. J’étais jeune. J’aurai dû continuer plus longtemps, mais Paris me brûlait les doigts.» Le feu roulant de la capitale l’emmène un temps chez les frères Pourcel avant de gagner le temple sucré de Pierre Hermé, où il apprend l’excellence de la pâtisserie, la confiserie et la chocola- terie. Il fait un petit stop dans le giron de Ducasse avant de reprendre le restaurant du couple phare des nuits parisiennes, Cathy et David Guetta.
LE JAMIE OLIVER FRANÇAIS
Mais impossible de parler de la carrière de Cyril Lignac sans aborder la télévision, où il se retrouve à l’âge de 25 ans, devenant le premier chef bancable de la foodie française. «Lors d’un dîner, une équipe de production a trouvé que j’avais le potentiel de participer à une émission culinaire. La chaîne voulait adapter le modèle anglais de Jamie Oliver’s Kitchen.
Ils avaient le concept mais pas encore le cuisinier. Mais pour tout vous dire, je n’avais pas très envie de la faire», précise l’Aveyronnais au détour d’une bouchée de cabillaud snacké, accompagné de coques d’Utah Beach. «Personne n’est préparé pour affronter la célébrité. Quand on est si jeune, ça fait tourner la tête. C’est très difficile de gérer. Cela m’a forcément un peu changé.» Au point de l’avoir desservi, non en termes de réussite ni d’affaires, mais au regard de la reconnaissance de ses pairs? «Dans tous les milieux, on parque les gens dans des cases. Il est vrai que j’ai été connu avant d’être reconnu et que j’ai été décrié autant par la profession que par un certain public», révèle le chef qui, pour s’affranchir, va se surpasser, travailler, innover, construire afin de se démarquer. «Avec le recul, cette expérience était nécessaire à mon épanouissement. Je n’en serais pas là aujourd’hui sans ce baptême du feu. Sans être revanchard, j’ai voulu prouver de quoi j’étais capable.»
Aujourd’hui, Cyril Lignac mène sa carrière sur deux fronts bien distincts: la télévision et la restauration. Bilan des courses? Quatre restaurants, cinq pâtisseries, deux chocolateries à Paris et surtout une indépendance professionnelle qui lui permet de ne pas être soumis à un groupe. Attachant, avenant, apportant une vraie dimension humaine au monde culinaire ambiant, le cuisinier apparaît plus serein que jamais. «Ce n’est pas l’ambition qui dicte ma vie, c’est le plaisir et la passion», confesse-t-il devant un pigeon gratiné au miso, accompagné de ravioles d’aubergines fumées. On lui souhaite longue vie…
«Dans tous les milieux, on parque les gens dans des cases. En cela, j’ai été connu avant d’être reconnu»