Les étranges interdits du Turkménistan
Une nouvelle lubie présidentielle prohibe les voitures noires et interdit aux femmes de conduire. Ces restrictions interviennent sur fond de grave crise économique dans un pays où la richesse était promise à tous
Le président du Turkménistan Gourbangouly Berdymoukhamedov. «Tout ce qu’il fait construire est en marbre blanc»
UNE SOURCE TURKMÈNE ANONYME
Toutes sortes de superstitions sont associées aux chats noirs. Le fantasque président turkmène a lui la phobie des voitures noires. Depuis le 1er janvier, la police turkmène saisit les véhicules de couleur sombre et ordonne à leur propriétaire de les repeindre en couleur blanche ou argentée. Dans la foulée, Gourbangouly Berdymoukhamedov a interdit aux femmes de s'asseoir derrière le volant.
Le plus étrange dans ces nouveaux règlements, c'est qu'ils ne sont ni codifiés dans la loi ni même annoncés dans les médias officiels. L'information n'a filtré que grâce à des médias basés à l'étranger. Sorte de Corée du Nord sans arme nucléaire, le Turkménistan est une dictature qui ne tolère ni média indépendant, ni ONG étrangère. Internet est verrouillé et les autorités sévissent immédiatement contre toute personne communiquant avec des journalistes étrangers. Le Temps a néanmoins pu vérifier les informations auprès de deux sources vivant dans la capitale, Achgabat, grâce à une messagerie cryptée.
2000 francs pour repeindre un véhicule
«On savait que le président ne voulait pas voir de voitures noires dans les rues et qu'il aimait la couleur blanche, parce qu'elle porte chance. Tout ce qu'il fait construire est en marbre blanc», confie la première source. «Il a déjà interdit l'importation de voitures noires il y a deux ans. Peutêtre qu'il veut se réserver l'usage de voitures noires pour lui-même. Avant, le cortège officiel était entièrement composé de voitures de luxe noires.» La source confirme n'avoir entendu parler d'aucune interdiction à la télévision d'Etat. Mais celle-ci montre désormais un cortège officiel composé de Rolls-Royce blanches.
Le site d'opposition Chroniques du Turkménistan note que toutes les voitures de couleur sombre sont menacées par la nouvelle directive informelle et avance que la police dispose d'un pouvoir discrétionnaire pour déterminer la nuance permise de celle qui ne l'est plus – la gendarmerie exige que les voitures soient repeintes immédiatement dans des couleurs claires. Le média note que repeindre un véhicule coûte au moins 2000 francs et que les prix s'envolent. Le salaire moyen des habitants d'Achgabat est de 300 francs et le Turkménistan se classe au 86e rang mondial en termes de PIB par habitant, selon l'ONU. Le pays compte pourtant les 4es réserves mondiales de gaz et son premier président Saparmourad Niazov avait fameusement promis d'en faire «un second Koweït où chacun conduira une Mercedes».
Vingt-cinq ans plus tard, les Turkmènes en sont réduites à envier les Iraniennes. L'interdiction faite aux femmes de conduire, depuis le 1er janvier, confirme la rapide réduction des libertés dans ce pays enclavé entre l'Iran, la mer Caspienne, l'Ouzbékistan et l'Afghanistan. «Quand des amies m'ont dit qu'on n'aurait bientôt plus le droit de conduire, je ne les ai pas crues, raconte la seconde source, une Russe ethnique. Mais j'ai été contrôlée à trois reprises par les gendarmes en décembre, et ils m'ont dit qu'à compter du 1er janvier je devrai payer une amende et que ma voiture sera confisquée. Je n'ai pas d'autre moyen d'aller à mon travail.»
Selon le site d'opposition Habart, les fonctionnaires de sexe féminin sont contraintes de signer un document dans lequel elles s'engagent à ne plus conduire d'automobiles. L'ordre fait suite aux déclarations le 5 décembre du ministre de l'Intérieur, Isguender Moulikov, prononcées devant le chef de l'Etat. S'appuyant sur des statistiques, le ministre a indiqué que le plus grand nombre d'accidents de la route sont provoqués par des conductrices. Le président a alors enjoint au ministre de «résoudre ce problème».
Médicaments saisis à l’aéroport
La réduction des libertés ne s'arrête pas là. Le site Radio Azatlyk, une branche locale de Radio Liberty financée par le Congrès américain, indique que depuis la fin de 2017, les douaniers saisissent systématiquement les médicaments importés par les passagers arrivant à l'aéroport d'Achgabat et n'hésitent pas à prendre les téléphones portables pour fouiller dans la messagerie privée de leur propriétaire. Même les médicaments les plus anodins comme le paracétamol sont confisqués. La possession de tickets de caisse prouvant la légalité des achats n'infléchit en rien les douaniers, qui, là encore, ne s'appuient sur aucun texte de loi. Les médias d'opposition notent que plusieurs régions du pays souffrent d'un grave déficit de médicaments et de seringues. Dans plusieurs provinces, les hôpitaux exigent des patients qu'ils se fournissent eux-mêmes en médicaments. Derrière la couleur blanche se cache une misère noire.
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