Eloge de l’ouverture
Nous avons tous l’habitude de discuter de manière passionnée à la machine à café. Nous nous retrouvons entre collègues et les échanges fusent. Il y a les sujets personnels, qui fournissent une bonne matière à commentaires, mais les meilleurs débats naissent souvent d’un tout autre matériau de base.
Que pense-t-on des vieilles féministes qui partent en guerre contre les jeunes femmes dont la parole se libère après l’affaire Weinstein? Que décider lors du prochain week-end de votations? Federer va-t-il terminer sa carrière cette année?
Cette conversation atteint un niveau de densité extrême sur les réseaux sociaux. A tel point que médias, et entreprises en général, s’entourent de nouveaux spécialistes pour éviter les débordements. Ces experts en dialectique numérique gèrent des communautés dont il faut stimuler, modérer ou réfréner les élans.
Quand certains n’hésitent pas à pratiquer l’invective, voire l’insulte et les menaces, le community manager doit ramener du sens dans les échanges. Certains grands journaux comme le New York Times vont même plus loin: ce dernier a délégué un journaliste pour être à l’écoute et relayer les prises de parole des lecteurs.
Au Temps, du mardi au vendredi, nous avons une page 2 qui rend compte de la conversation sur les réseaux sociaux. Nous racontons ces discussions – désormais sans fin et sans frontières – capables de surfer sur tous les sujets d’actualité. Elles ont ceci de remarquable qu’elles délimitent des communautés, affinent les opinions, donnent à réfléchir et produisent de l’engagement.
Cette semaine, Facebook a annoncé que le fil de ses utilisateurs serait largement expurgé des nouvelles transmises par les organes de presse, celles-là même qui génèrent pourtant la conversation globale. Le premier réseau social au monde avait déjà eu de telles velléités en 2016 afin de coller mieux aux intérêts de sa communauté, dont les plus jeunes membres lorgnaient du côté de Snapchat.
L’ironie de l’histoire tient au fait que Mark Zuckerberg a pris la résolution pour 2018 de «réparer» les mauvais travers de son entreprise. Ces 18 derniers mois, Facebook a montré son incapacité à gérer le phénomène des fausses nouvelles et, aujourd’hui, il choisit de manière abrupte de couper le flux.
C’est davantage un aveu de faiblesse que l’aboutissement d’une vraie stratégie. La preuve, les investisseurs estiment que le réseau social aurait désormais plus de mal à garder les internautes en ligne. L’action du géant a reculé en bourse car tout le monde aime commenter l’actualité, même Wall Street a compris cela. Les médias dont l’audience en ligne dépend massivement de Facebook ont certes du souci à se faire. Mais, pour la plupart d’entre eux, il suffira de poursuivre le fil de la conversation pour s’assurer la fidélité de leurs lecteurs.
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