Le Temps

A Riyad, le fait du prince

- LUIS LEMA @luislema

Il y a le fond, puis il y a la forme. Sur le principe, le sort des dizaines de dignitaire­s saoudiens qui ont passé les derniers mois retenus dans un grand palace de Riyad n’a suscité que de très lointaines sympathies, voire un haussement d’épaules vaguement amusé. Qui pour défendre quelques-unes des plus grosses fortunes d’Arabie saoudite, pour s’offusquer de cette ribambelle de princes et d’hommes d’affaires pris au piège sous les lambris, soudaineme­nt sommés de vider en partie leurs poches bien pleines? Pour une majorité de Saoudiens, en particulie­r la jeunesse, l’affaire est entendue: elle applaudit des deux mains son fougueux prince héritier, ce «MBS» (pour Mohammed ben Salmane) qui s’en prend frontaleme­nt aux corrompus tandis que, dans le même mouvement, il modernise les moeurs, accorde le droit de conduire aux femmes du royaume et leur ouvre, enfin, les salles de concert.

Menacée par la fin de l’ère du tout pétrole, pratiqueme­nt à bout de souffle depuis des années, l’Arabie saoudite ne peut sans doute éluder la nécessité d’une réforme radicale, au risque autrement, pour la maison royale, de se voir tout bonnement emportée. Faut-il, cependant, gâcher la fête en évoquant les manières adoptées par le nouvel homme fort saoudien? Ne s’embarrassa­nt d’aucune règle de droit, Ben Salmane a agi contre ces puissants comme il avait traité, lors de rafles précédente­s, les potentiels opposants politiques ou certains responsabl­es religieux qui lui barraient la route. En l’absence d’une liste claire des suspects, faute d’accusation­s rendues publiques, cette purge anti-corruption prend des allures de conclusion d’une vaste épuration, dont le caractère arbitraire semble servir avant tout à asseoir le pouvoir du nouveau venu. Pour preuve, la présence, parmi ces personnali­tés, d’individus connus pour représente­r des branches rivales de la maison royale – et très critiques envers le pouvoir actuel. Particuliè­rement en ligne de mire: l’héritage de l’ancien roi Abdallah, resté très populaire en Arabie saoudite.

Il y a peu, un Donald Trump triomphant exhibait à Riyad la promesse de 110 milliards de dollars de contrats d’armement. Un épisode visant à démontrer l’amitié retrouvée entre l’Arabie saoudite et les Etats-Unis mais qui semblait surtout prouver que, «MBS» ou non, les manières locales de s’assurer des loyautés n’avaient pour l’heure pas beaucoup changé.

Mohammed ben Salmane, jusqu’ici, est avant tout l’homme qui a déclenché une guerre meurtrière au Yémen, qui a mis le Qatar en quarantain­e et qui a dangereuse­ment durci le ton contre l’Iran. A l’interne, s’y ajoute un pays qui, sous le masque de la modernisat­ion, n’a jamais été si répressif envers toute voix discordant­e et qui, à la suite de la purge récente, voit pratiqueme­nt tous les pouvoirs se concentrer entre les mains d’un seul et même homme. En attendant que «MBS» devienne roi, l’Arabie saoudite est d’ores et déjà entièremen­t soumise au seul fait du prince.

Menacée par la fin de l’ère du tout pétrole, l’Arabie saoudite ne peut éluder la nécessité d’une réforme radicale

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland