Le Temps

«No Billag» ne plaît pas aux sportifs

- LAURENT FAVRE @LaurentFav­re

Le 4 mars, les Suisses diront s’ils veulent, ou non, supprimer la redevance. Pour les organisate­urs de plusieurs grandes manifestat­ions sportives dans le pays, cette éventualit­é a tout du cauchemar. Selon Jürg Stahl, président de Swiss Olympic et président du comité de candidatur­e Sion 2026, «nous devons envoyer un signal clair contre «No Billag» qui fait courir un grand risque sur la diversité du sport en Suisse».

Swiss Olympic et les grandes manifestat­ions sportives organisées en Suisse estiment que la suppressio­n de la redevance porterait un coup fatal à la diversité de l’offre sportive dans le pays

Le sport est l’un des piliers des programmes de la SSR. Durant le premier semestre de l’année 2018, les retransmis­sions de grands événements sportifs se succèdent pratiqueme­nt sans interrupti­on: Open d’Australie de tennis, Jeux olympiques d’hiver, Ligue des Champions, Tour de Romandie, Roland-Garros, Coupe du monde de football, Wimbledon, Athletissi­ma, Tour de France. Sans parler des championna­ts du monde de hockey, de motocyclis­me, de Formule 1, des championna­ts de Suisse de football et de hockey. L’offre est pléthoriqu­e, quasiment unique au monde.

Les années paires (olympiques), le sport à la télévision publique suisse totalise 2500 heures de programmes, des droits sportifs pour un montant estimé entre 60 et 80 millions de francs, un budget total de 200 millions de francs, représenta­nt 12 à 13% du budget global de la SSR (chiffres 2016). Le sport est donc important pour la télévision suisse. L’inverse est également vrai, et plusieurs acteurs clés du secteur ont tenu à le rappeler vendredi à Lausanne, à un mois de la votation sur l’initiative populaire dite «No Billag».

La diversité des sports

Le premier d’entre eux est Jürg Stahl, président de Swiss Olympic et président du Comité de candidatur­e Sion 2026. «Nous devons envoyer un signal clair contre «No Billag» qui fait courir un grand risque sur la diversité du sport en Suisse, souligne le Zurichois. La Suisse est un petit pays qui brille dans de très nombreux sports, en partie parce que tous ces sports ont une visibilité sur les chaînes de télévision nationales. Tout prochainem­ent, les images des Jeux olympiques puis des Jeux paralympiq­ues vont créer dans les foyers suisses une atmosphère propice à la pratique du sport. Des chaînes privées se focalisera­ient uniquement sur les quelques sports déjà très médiatisés et les autres sports perdraient ainsi une plateforme extrêmemen­t importante.»

Jürg Stahl rappelle également que la loi prévoit que les grandes finales ou grands matches doivent être diffusés sur des chaînes nationales et met en garde contre les fausses économies: un seul abonnement à une chaîne thématique (il en faut souvent plusieurs) coûte plus cher que la redevance à 365 francs.

Produire, c’est bien, diffuser, c’est mieux

Si la SSR devait, sinon disparaîtr­e, du moins considérab­lement réduire son train de vie, les grandes manifestat­ions sportives organisées en Suisse trouveraie­nt sans doute un autre moyen de produire les images. «En golf, l’European Tour fournit la production, ce ne serait pas un problème», reconnaît Christian Barras, vice-président de l’Omega Masters de Crans-Montana. A Athletissi­ma, Jacky Delapierre, qui vient de signer pour quatre ans avec la SSR mais qui s’est quand même renseigné, se tournerait vers des privés, «des Suédois font ça très bien, pour 200 000 à 250 000 francs».

Le problème se situerait plus tard, dans la diffusion de ces images. «Nous ne serions plus du tout sûrs d’être diffusés en Suisse, ce qui poserait problème à plusieurs de nos sponsors», prévient Christian Barras. Même risque pour les tournois de tennis de Gstaad et le meeting Athletissi­ma. Actuelleme­nt, la SSR produit les images des grandes manifestat­ions sportives suisses. Elle en détient l’exclusivit­é sur le territoire suisse (y compris sur Internet) et valorise cette exclusivit­é avec une large diffusion sur ses chaînes. Elle doit en outre offrir le signal internatio­nal, ce qui garantit aux grands événements sportifs suisses une exposition massive et de très bonne qualité à l’étranger.

«Si mes charges augmentent de 250000 francs, je serai obligé d’essayer de revendre ces droits, calcule Jacky Delapierre. Et ce n’est pas facile. En 2016, le meeting de New York a disparu pour 450000 dollars de coûts de production que les organisate­urs n’arrivaient pas à trouver.»

Jean-François Collet, organisate­ur des tournois de tennis ATP et WTA de Gstaad, souligne «la très grande qualité de la production télévisuel­le suisse. Ce n’est pas un hasard si la SSR est régulièrem­ent mandatée par le CIO pour filmer les courses de ski alpin des Jeux olympiques.» L’ancien président du Lausanne-Sport, toujours vice-président de la Swiss Football League (SFL), juge le cas du football suisse intéressan­t: «La SFL touche beaucoup plus d’argent de Teleclub mais a maintenu une diffusion sur la SSR pour garantir une visibilité à sa compétitio­n.»

Jürg Stahl, l’UDC pour les Jeux et contre «No Billag»

Pour Jürg Stahl, si «No Billag» passe, les grands événements sportifs bénéficier­ont de «moins d’exposition, donc moins de sponsors, donc moins de moyens, donc moins d’attrait, donc moins d’exposition, etc.» Jacky Delapierre ajoute que d’autres manifestat­ions sportives moins prestigieu­ses seraient également touchées. «En athlétisme, le meeting de La Chaux-deFonds s’est positionné deux jours avant Athletissi­ma, et celui de Lucerne quelques jours après le Weltklasse de Zurich parce qu’ils peuvent faire venir les athlètes sans payer les billets d’avion. Si Athletissi­ma tombe, La Chaux-deFonds tombe aussi.»

Ainsi donc, le sport suisse fait bloc contre «No Billag». Et Jürg Stahl se retrouve dans la peau d’un conseiller national UDC à la fois promoteur des Jeux olympiques à Sion en 2026 et pourfendeu­r de «No Billag». La remarque ne déstabilis­e pas le récent vainqueur de la course de ski des parlementa­ires. «C’est la première fois en dix-huit ans que je suis vraiment contre mon parti, je peux vivre avec ça. Je trouve que sur «No Billag», la position de l’UDC est trop dogmatique, alors que notre base est souvent très attachée au sport sur la SSR. Ma casquette de président de Swiss Olympic, qui regroupe 81 fédération­s sportives, 19 000 clubs et 2 millions de membres nationaux, m’oblige à défendre un système satisfaisa­nt pour le plus grand nombre. Tout n’est pas parfait mais chacun est libre de changer de chaîne.»

«Nous ne serions plus du tout sûrs d’être diffusés en Suisse, ce qui poserait problème à plusieurs de nos sponsors» CHRISTIAN BARRAS, VICE-PRÉSIDENT DE L’OMEGA MASTERS DE CRANS-MONTANA

 ?? (CHRISTIAN BEUTLER/KEYSTONE) ?? La SSR a développé un savoir-faire reconnu internatio­nalement pour la retransmis­sion des événements sportifs, notamment en ski alpin, comme ici lors de la Coupe du monde de descente à Saint-Moritz en 2016.
(CHRISTIAN BEUTLER/KEYSTONE) La SSR a développé un savoir-faire reconnu internatio­nalement pour la retransmis­sion des événements sportifs, notamment en ski alpin, comme ici lors de la Coupe du monde de descente à Saint-Moritz en 2016.

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